mardi 28 mars 2017

Raptus -- Joanna Klink

RAPTUS



The door to the past is a strange door. It swings open and things pass through it, but they pass in one direction only. No man can return across the threshold, though he can look down still and see the green light waver in the weeds.
LOREN EISELEY



A door opens in the wilderness
People cross through it - bloused women families

Acquaintances friends all the ones I have loved
Sleep-walkers night-walkers each dazed and shorn - 

Streets aurous with ice, a snowfall scratched into
Moons - and everything I'd known - 

Inside the bleak floating light of my lungs
In the capillaries of my eyes a blood

Glancing through the hatches - 
If I said I would always be grateful

If I lied or touched with spite
If night is just a foamline of shadows

Though we were both lost - the door
Opening - the fear of being shown

Whole to the one who must love you still -
And stopped as if on a walk to say

Look at that and what matters what really counts
And I'll tell you everything if you promise I promise

I stood at the door and behind me heard
Snow-plows scrape against roads

At the center of night - unknown to yourself
And the word I said out-loud to no one

That meant it was all to no purpose
The word for the desire inside destruction

For everything that can never be brought back - 
Loose snow blown hard to each bank

And the common reel of those who
To avoid one extreme rush towards its opposite -

Snow blasted to piles - and neve opend up to
Anything that could reach me until you reached me -

Which hours belonged to us
When i was unknowingly alone

Why did you always return to walk here a path
Behind my closed eyes shedding salt

Dry snowfall and sticks - still you were here
With me I might say The moon rose in the casement window

The red-haired boy across teh street has learned to ride his bike
There are still picnics there are fountains

And the world I am leaving behind says
One learns to see one learns to be kind -

I closed my eyes I closed my hands
I shut down the fields in my arms

The cattle on the plains veins ditches
Blue ravines a gray bird

Sailing though a poplar brake kids
Throwing snow I closed the last swinging juncos

Sheep wool caught on barbed wire I closed
Fumes and clear patches of sky I seized

The river the town I shut down
The hard muscles of sleep farmlands

Warming under midnight salt-lights scruff-pines
On the ridge animals scattering across the slopes I closed

The smooth bone of evening a storm
On the hills white and noiseless spindled

Prairies where I was born I shut I seized
The clouds I closed in anger - fervor - ardor


in Joanna Klink, Raptus, Penguin Poets, 2010




Cela ne fait donc que sept ans que je tourne sans parvenir à le traduire autour de ce poème ... la difficulté vient moins de l'usage répété de l'enjambement ou de la ponctuation réduite au tiret que du ton de cette comptine à voix basse, de ce murmure d'enfant qui conjure le noir, de cette litanie récitée pour tenir jusqu'au matin.
J'ai au moins une version du titre qui me satisfait, Saisissement, pour essayer de rendre à la fois la polysémie de Raptus et le ressaisissement par la mémoire. Il faut bien se satisfaire de ce modeste commencement !

"This is a poet who knows which losses are irreparable, and also the suffering that shall not heal, the singing that lifts—washed, unwinged—and is nevertheless heard on every page." a écrit Carolyn Forché à la sortie de Raptus.

 

jeudi 23 mars 2017

Lambeaux -- Charles Juliet


A mille lieux des auto-fictions complaisantes et bavardes, écrire comme un animal lèche sa plaie, lentement, en profondeur et en douceur ; le livre comme cicatrice.
Est-il nécessaire de dire que ce bref livre est une longue marche, pour qui sait lire ? 




Chaïm Soutine, Boeuf écorché (1925)




Ce récit aura pour titre Lambeaux. mais après en avoir rédigé une vingtaine de pages, tu dois l'abandonner. Il remue en toi trop de choses pour que tu puisses le poursuivre. Si tu parviens un jour à le mener à terme, il sera la preuve que tu as réussi à t'affranchir de ton histoire, à gagner ton autonomie.
Ni l'une ni l'autre de tes deux mères n'a eu accès à la parole. Du moins à cette parole qui permet de se dire, se délivrer, se faire exister dan les mots. Parce que ces mêmes mots se refusaient à toi et que tu ne savais pas t'exprimer, tu as dû longuement lutter pour conquérir le langage. Et si tu as mené ce combat avec une telle obstination, il te plaît de penser que ce fut autant pour elles que pour toi.

Tu songes de temps à autres à Lambeaux. Tu as la vague idée qu'en l'écrivant, tu les tireras de la tombe. Leur donnera la parole. Formuleras ce qu'elles ont toujours tu.

Lorsqu'elles se lèvent en toi, que tu leur parles, tu vois s'avancer à leur suite la cohorte des bâillonnés, des mutiques, des exilés des mots

ceux et celles qui ne se sont jamais remis de leur enfance

ceux et celles qui s'acharnent à se punir de n'avoir jamais été aimés

ceux et celles qui crèvent de se mépriser et se haïr

ceux et celles qui n'ont jamais pu parler parce qu'ils n'ont jamais été écoutés

ceux et celles qui ont été gravement humiliés et portent au flanc une plaie ouverte

ceux et celles qui étouffent de ces mots rentrés pourrissant dans leur gorge

ceux et celles qui n'ont jamais pu surmonter une fondamentale détresse




in Charles Juliet, Lambeaux, POL, 1995
(également disponible en collection Folio)

jeudi 16 mars 2017

New York City 1986 -- Steven Siegel


Excellente pioche de Aeon que de redonner accès à cette vidéo de Steven Siegel !

C'est ici.

C'est le New York pre-Giuliani, pre-Bloomberg ... un autre monde !

Steven Siegel, Bowery and Houston Street 80's

C'était sans doute plus exactement Lafayette and Houston, un bloc à l'ouest ; aujourd'hui, cela ressemble à cela (et encore, la station service a laissé place l'an dernier à un rutilant immeuble de bureaux ...) :

Lafayette and Houston, 2016

Impossible de regretter ces quartiers vraiment difficiles ; je suis retourné "en pélerinage" sur 6th Street, D Avenue, où l'éphémère Neither Nor ouvrait son sous-sol au milieu des décombres d'immeubles incendiés : il fait indéniablement bon vivre à cet endroit aujourd'hui, aucun rapport avec ce qu'il était en 1986 (une piqure de rappel, ici).

Reste néanmoins une question, et cette question c'est : où sont passé ces gens qui habitaient ces quartiers, où sont passé leurs enfants ?

samedi 4 mars 2017

Noize Niouze


enfin, plus très niouze ... tout cela date d'il y a quelques mois, autant dire une éternité à l'échelle d'un corps qui se délite.
Günther Muller / Norbert Moslang et Radian aux Instants Chavirés (Montreuil)

Un peu déçu par le duo GM/NM et pourtant, Norbert Moslang est pour moi une référence, depuis au moins 10 ans, depuis ce dispositif utilisant comme source les crépitements des décharges de tubes au néon ...
Pas vraiment d'impression d'écoute ou de proposition entre les deux, plus une impression de parallélisme, le dieu du bruit étant appelé à harmoniser tout cela.
Cela ne peut pas marcher à tous les coups, ce sera pour une prochaine fois !

Radian continue de me surprendre par la différence entre leurs enregistrements studio très délicats ou prime la qualité des textures sonores et leurs prestations scéniques intenses, presque rageuses avec de longues montées (ok, ce n'est pas non plus Godspeed ...). Beau concert et voilà un groupe qu'on peut apprécier sous deux angles vraiment différents !

KK Null / Balasz Pandi au Terminus (Rennes)

KK null continue de s'imposer en pionnier d'un noise ultra-énergique ; on peut réécouter ses productions de la fin des années 90, elles n'ont pas pris une ride, et on peut écouter le récent EP Machine in the Ghost pour voir une évolution vers des textures plus riches et une forme plus narrative, une sorte de "cinéma pour l'oreille" mais en version manga shonen ! Un Ep qu'on peut d'ailleurs préférer en 33rpm, histoire de savourer les textures.

En concert, il continue de puiser dans ses sonorités "style DJAX upbeat (très upbeat)" qui donnent à certains passages un caractère presque rétro !
La batterie de Balasz Pandi propulse le set en apportant en permanence des éléments de déséquilibre auxquels KK Null s'adapte.

L'occasion de rappeler deux remarquables LP récents de Balasz Pandi en trio avec Merzbow, l'un avec Keiji Haino, l'autre avec Matts Gustaffson.
 

vendredi 3 mars 2017

François Fillon, 8 ans d'âge mental ?


Tous ceux qui ont eu à faire à des gamins de huit ans connaissent le refrain : le pot de confiture à demi-vide alors qu'il était plein une heure plus tôt, le gamin barbouillé de confiture jusqu'aux oreilles, personne d'autre à l'horizon, et en avant, c'est parti :
- Tu as mangé la moitié du pot ?
- C'est pas vrai, il était déjà à moitié vide quand je suis arrivé !
S'ensuivent quelques manœuvres d'où il ressort que non, décidément, le pot devait bien être plein.
- Alors, tu as bien mangé la moitié du pot ?
- C'est pas moi, cela pourrait très bien être ma sœur !
S'ensuivent à nouveau quelques manœuvres d'où il ressort que non, sa sœur est à la piscine, donc cela ne peut pas être elle.
- Alors, c'est bien toi qui a mangé la moitié du pot ?
- C'est pas grave, le cousin René, il l'avait mangé en entier l'été dernier et on ne lui avait rien dit !

Et voilà, "C'est pas vrai, C'est pas moi, C'est pas grave", une stratégie argumentative qui fait sourire mais dont on finit par se lasser ; les gamins aussi, d'ailleurs, mais pas tous ... écoutez François Fillon :

- C'est pas vrai ... et de chipoter sur les chiffres.
- C'est pas moi ... sous une forme un peu plus alambiquée : on attaque le candidat au motif des turpitudes du député ! François Fillon candidat (4 millions de votants, dame !) n'est plus François Fillon François député, non, ce n'est pas lui, ou ce n'est plus lui.
- C'est pas grave ... les autres élus aussi etc.

Cela prêterait à sourire, mais qu'un candidat à la "magistrature suprême" trouve pour toute défense une stratégie de gamin de huit ans, cela laisse rêveur.

D'autant qu'au lieu d'opter pour cette stratégie risible, doublée d'un aplomb à la Tapie fort malvenu ("Tout est légal" ... la défense de gangster typique), notre parangon de vertu autoproclamé aurait très bien pu se fendre dès le début d'un habile et très catholique Confiteor (bien appuyé quand même, le Confiteor) ; cela aurait bien pu fonctionner.