jeudi 18 décembre 2014

Petite phénoménologie du harsh noise wall


Sur scène, rien à voir, comme c'est le cas en général des musiques électroniques : un type, une table, de la filasse et des manettes. Rien à voir. Tant mieux, on est là pour écouter et, peut-être, pour écouter ensemble.
Cela commence, sans transition, tout le volume sonore est là, il ne change pas, il ne changera pas, il remplit la salle, on l'accueille comme un gros animal qui ne fait plus peur, qui reste là, qui remplit tout l'espace. On ferme les yeux, rien à voir.
Immobile. Le son remplit l'espace mais aucune dynamique n'émerge ; analogue sonore de la "neige" des moniteurs vidéo ; sauf qu'il n'y a pas d'écran et donc pas d'à-côté de l'écran, ce son ne se découpe sur aucun arrière-fond : un mur, rien qu'un mur, frontal, sans rien d'agressif. Simplement crépitant mais toujours sans variation de volume.
Crépitements, chaos. Cela part dans tous les sens, turbulence, au sens des physiciens ou de Michaux. Chaos, infinité de toutes les formes potentielles dont aucune ne peut émerger sans qu'une symétrie ne soit d'abord brisée (Gilles Châtelet). 
Et cela commence, notre oreille, notre cerveau commence à se raconter, à nous raconter une histoire, accueille certaines formes, en oblitère certaines ; des bribes de structures, de courtes boucles, des rythmes en fragments affleurent à la conscience, s'assemblent en unités plus vastes, renforcent à leur tour cette écoute particulière, involontaire, qui fait son tri parmi les formes et les laisse s'assembler en unités mouvantes. Sous cette perception particulière, le mur s'anime, les crépitements se lissent, le mur ondule.
Expérience quasi-méditative : des formes sonores viennent à nous, sortent du chaos du mur, "dessinent" sur le mur, retournent s'y fondre ; on laisse faire, on laisse venir, on laisse repartir, on accueille toute cette activité, tout ce foisonnement merveilleux qui est le produit de notre perception, de notre corps (Ts'i Wou Louen !). On flotte. On entend, comme le méditant voit.
Et soudain tout s'arrête, brutalement : on n'a pas vu le temps passer.






(A lire aussi, le Manifeste du Mur Bruitiste)