jeudi 13 novembre 2014

"À peine"

Selon une antique légende, reportée dans la tradition cabaliste, l'au-delà se distinguerait bien peu du monde d'ici-bas et il n'est nullement besoin de tout détruire pour donner naissance à un monde nouveau. Il suffirait de très légers déplacements. Ainsi pour opérer cette révolution discrète, il faudrait à peine déplacer cette tasse, à peine cette pierre, à peine cette feuille. Toute jeune fille au miroir sait bien de quoi nous parlons. Il lui faut se tourner un peu de côté, et sourire de biais pour se révéler dans sa beauté recouvrée. L'artiste n'a pour autre fonction que de réaliser ces gestes infimes et ces déplacements. Après tout, il a suffi que Cézanne ou Morandi déplacent à peine ces tasses, Dürer et Bellini, à peine ces pierres, et Poussin, à peine cette feuille, pour nous révéler des mondes. Il reste que l'expression dit aussi bien la légèreté inaperçue du geste que sa difficulté et son poids.


Unraveling Morandi (installation)



Voilà ... c'est juste une toute petite note de bas de page de l'introduction que Martin Rueff donne à la traduction (par Maxime Rovère et Martin Rueff) du livre de David Graeber, Des fins du capitalisme (Possibilités I) chez Payot et cela donne une bonne mesure de l'intelligence de ce volume.