mardi 30 septembre 2014

Porte close -- Jean Follain (1903 - 1971)


L'ouragan ravage les jardins
le livre est intact
sur la planche de chêne
dehors ce sont
les clans, les pactes et les races
les femmes déchirées
et l'utilisation des braises
de la roue et du plomb
la triste algèbre.
C'est aussi la maison
qu'on rebâtit toujours
avec sa jeune fille
mourante et fardée dans la nuit.

(in Usage du temps - Transparence du monde, 1943)


Comme quoi Jean Follain n'est pas seulement le poète "objectif" (au sens où l'entend Czeslaw Milosz, par exemple dans l'introduction à son excellente anthologie A book of luminous things, où Follain est présent 7 fois, en compagnie des grands Tang et d'autres poètes chinois moins connus -- Kenneth Rexroth est passé par là -- et, bien sûr, d'un fort contingent polonais !) ou poète de l'instant (lui-même nouera ces deux aspects dans le titre de son dernier recueil, Espaces d'instants). 

"Instant" ... sensation d'équilibriste ; rien derrière, rien devant, ou plutôt ni derrière, ni devant, un simple "là". Follain sait admirablement susciter ce sentiment : le temps ne coule pas, ni du passé pour nous emporter vers l'avenir, ni de l'avenir pour nous faire advenir ; il saute ; il bondit, d'instants en instants ... même qu'à en croire Sigismund Krzyzanowski (lisez, au moins, Fantôme, traduit par Luba Jurgenson, chez Verdier), on pourrait bien tomber dans ce néant qui règne entre deux instants consécutifs (voir l'étude de Vladimir Toporov, L'espace négatif de Krzyzanowski, encore chez Verdier).