jeudi 19 juillet 2012

L'obsolescence de l'individu -- Günther Anders



Du fait que, avant même que nous prenions notre plume en main, nos "portes à idées" sont grand ouvertes, qu'il n'y a plus de "murs" entre nous et le système, que nous vivons en "congruence" avec ses contenus, nous savons toujours avec évidence ce que nous devons ou non laisser entrer ; quel registre nous devons ou non choisir ; jusqu'où nous devons ou non aller ; de combien nous devons ou non dépasser les limites du système afin de garantir aussi bien notre illusion de liberté que celle des autres. Nous obéissons d'autant plus volontiers que nous ne sentons absolument pas le règles qui nous ont été imposées, parce qu'elles restent camouflées et, à vrai dire, parce que nous avons été rendus incapables de seulement souhaiter autre chose que ce que nous devons souhaiter. Non, le système conformiste n'a pas besoin de nous dicter chaque manœuvre particulière, de fixer chaque phrase particulière, d'espionner chaque mot particulier. Du fait qu'il nous a toujours déjà fixés "avant la lettre", il peut toujours se montrer généreux, il peut toujours rester libéral.
Pourtant ce système est libéral, non pas bien que ce soit un système intégral mais parce que c'est un système intégral.
Il est terroriste, non pas bien qu'il soit doux mais parce qu'il est doux.
Nous sommes pourtant ses victimes, non pas bien que nous ne sentions pas notre esclavage mais parce que nous ne sentons pas notre esclavage.
Nous laisse-t-il la main libre pour écrire notre œuvre ?
Oui, parce que nos mains sont son œuvre.
 


(in Günther Anders, L'obsolescence de l'homme, Tome II, traduit par Christophe David aux éditions Fario, 2011)