jeudi 17 mai 2012

Aucun lieu, Nulle part -- Christa Wolf (bis)


Juste pour le plaisir de recopier (essayez, vous verrez comment le texte se déploie différemment à la copie qu'à la lecture !), quelques lignes du début :



Cette ornière maligne par où le temps s'enfuit loin de nous.
Vous qui nous avez précédés, du sang dans les chaussures. Regards d'aucun œil, paroles d'aucune bouche. Formes, sans corps. Descendus au ciel, séparés dans les tombes éloignées, ressuscités d'entre les morts, pardonnant encore à ceux qui nous ont offensés, triste patience angélique.
Et nous, encore avides du goût de cendre des mots. Nous n'avons pas encore la bienséance d'être muets.
Dis s'il vous plaît, merci.
S'il vous plaît. Merci.
Rires vieux de plusieurs siècles. L'écho, effrayant, maintes fois brisé. Et le soupçon qu'il n'y a plus rien d'autre à attendre, que cet écho. Mais seule la grandeur justifie le manquement à la loi et réconcilie le coupable avec lui-même.
En voici un, Kleist, affligé de cette ouïe bien trop fine, fuyant au milieu des prétextes qu'il n'a pas le droit de percer à jour. Sans but, semble-t-il, sa fuite laisse une trace bizarre sur la carte déchirée de l'Europe. Le bonheur se trouve là où je ne suis pas.
La femme, Günderrode, reléguée dans le cercle étroit, pensive, clairvoyante, insensible aux choses éphémères, résolue à vivre pour l'immortalité, à sacrifier le visible à l'invisible.
S'ils s'étaient rencontrés : légende qui correspond à un désir. Winkel au bord du Rhin, nous l'avons vu. Un lieu qui convient.
Juin 1804.
Qui parle ?




(traduit par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, Stock, 1994)