lundi 9 janvier 2012

Où gîtent les étoiles - Avrom Sutzkever (1913-2010)


A quarante ans de distance, le miracle d'un même regard émerveillé qui parvient malgré tout à se réinventer :



Pelisse de feu

Les prés - de blanc éblouissant métal.
Les arbres - tous fondus dans le moule rocheux.
Ne sait où tomber la neige en pétales,
Le soleil vêt sa pelisse de feu.
L'artiste gel comme sur une vitre
De son pinceau de diamant, à mon front
Peint légendes de neige aux couleurs vives,
Sa signature est un vol de pigeon.
S'éteint en moi le soleil qui brûlait,
On ne voit plus, de feu, que sa pelisse
Sur une longue branche. Et moi, muet,
Veux m'en vêtir avant qu'il ne s'éclipse.

(in Sibérie, 1936)
traduit par Charles Dobzinski


Rire des sous-bois

Forêt que je connais, maison de fous pour arbres
Enfermés dans les bois. La clé chez le gardien.
Ils hurlent, s'arrachant les oiseaux de la tête,
Pendant l'orage, ils boivent le vin des éclairs.

Par leurs verts corridors, verts de l'éveil du cuivre,
Se promènent les jours. Ils viennent un par un
En chemise blanche et par les mêmes corridors
Disparaissent, taches bouillonnantes sur la blancheur.

Chaque arbre est prison en prison. Mais les racines
Courent avec le rire moussu des sous-bois,
Fouillant, cherchant, palpant des ossements, des crânes,
Pour que se vrille en eux la folie de la vie.

(1978)
traduit par Charles Dobzinski



In Avrom Sutzkever, Où gîtent les étoiles - Œuvres en vers et en prose, traduites du yiddish par Charles Dobzinski, Rachel Ertel et le collectif de traducteurs de l'Université Paris-VII, Seuil, 1988



Marc Chagall, illustration pour Sibérie
(souce ci-dessous)



Une traduction anglaise sur un corpus assez proche est disponible en ligne : A. Sutzkever, Selected Poetry and Prose, translated from the Yiddish by Barbara and Benjamin Harshav, UCP, 1991. Avec les illustrations de Chagall pour Sibérie !



A Fur of Fire

Fields around — of shiny dazzling metals.
Trees — in icy rock, all climbing higher.
Snows have no more room to drop their petals,
Sun walks in the sky in fur of fire.
With his diamond brush upon my pate
Artist Frost paints as on window pane
Snowy legends of his color palette,
Signed in flight of dove, in sky a strain.
Sun sets inside me. Ended her route.
Just her flaming fur alone arose
On a stretching branch. And I — a mute —
Would put on the fur before it goes.




Subforest Laughter

I know a forest: a madhouse for trees,
Locked in the forest. The watchman keeps the key.
The trees rip the birds off their heads. Rustle to the silence.
In a storm, they drink the wine of its lightning.

Through the corridors, green as copper-eve,
Stroll the days. One by one, they come, in white
Robes. Through the same green aisles
They flee with searing stains on the white.

Every tree a prison in a prison. Only roots
Streaming out with mossy, subforest laughter,
Groping and clutching bones and skulls,
Drilling into them the madness of life.