mercredi 14 décembre 2011

Back Lasch !


Simple écho de la très pragmatique question "comment construit-on une majorité de second tour ?" ou réel et durable déscillement, toujours est-il qu'on voit fleurir ces derniers temps quelques ouvrages qui reprennent les choses dans l'état où les trente dernières années les ont laissées : une France "périphérique" s'enfonce dans la difficulté, se replie douloureusement sur ses dernières certitudes sous les sarcasmes d'une France de "ouinners" (toutes tendances confondues) et ne trouve plus de relai politique du côté où elle pouvait naturellement l'attendre.

Pour le meilleur, Plaidoyer pour une gauche populaire, ouvrage collectif dirigé par Laurent Baumel et François Kalfon et pour le pire La gauche et la préférence immigrée par Hervé Algalarrondo, aussi mal écrit et racoleur qu'on pouvait le craindre venant d'un "chef à plume" du Nouvel Observateur ; très en-dessous du pire, sans grande surprise, on trouve l'immortel chef d'œuvre de Laurent Wauquiez, La  lutte des classes moyennes, qui défie tout bonnement le commentaire.
Sans oublier en la matière, Jean-Claude Michéa qui, avec Le Complexe d'Orphée, gâche son talent en guerres pichrocholines (qui, franchement, s'intéresse au bilan carbone d'Alain Badiou ?) et en embardées risibles (ha, l'épanouissement de Lionel Messi au sein des Galacticos ... vraiment, il n'y avait pas mieux comme image de la force du collectif ?), jette un peu trop facilement le bébé et l'eau du bain (ne sait-il pas que la base de RESF n'est pas cimentée par l'Algalarrondesque "préférence immigrée" mais par ce sentiment tout simple que "cela ne se fait pas" d'expulser des gamins qui sont les camarades de jeu de vos enfants ou à qui vous dispensez ce que vous pouvez de soutien scolaire et dont vous mesurez jour après jour l'importance que l'école revêt pour eux et leur famille, bref, quelque chose qui correspond très exactement à ce "sentiment d'injustice" qui fonde toute révolte, qui s'ancre précisément dans cette "common decency" qu'il emprunte à Orwell, à juste titre, sans visiblement prendre la peine de la reconnaître là où il ne l'attend pas forcément, là où il préfèrerait, pour éviter les complications, qu'elle ne soit pas ?) et persiste à écrire ses livres sous une forme qui conviendrait à peine à une édition de débutant en hypertexte (deux niveaux de renvois plus des notes de bas de page ... notez que c'est sans doute cette présentation paresseuse - un comble pour le chantre du métier et du travail bien fait ! - qui est la cause des embardées, approximations et accumulation de vaines polémiques).

Ce qui frappe derrière ces livres, c'est leur source (clairement revendiquée chez Michéa qui fut un des passeurs de Lasch en France) commune : à vingt ans de distance, prenant soin de relocaliser ou réactualiser certains arguments, ce sont des passages entiers des trois grands livres de Christopher Lasch (1932-1994) qui sont presque directement recyclés. Alors, autant aller à l'essentiel, Le seul et vrai paradis, La révolte des élites, La culture du narcissisme sont tous disponibles en édition de poche (Champs Flammarion, tous les trois). Pour Culture de masse, culture populaire (Climats Flammarion), on en avait parlé ici.

Encore un effort et on verra ré-apparaître cette notion que la bonne description des phénomènes sociaux en cours est et reste en termes d'opposition de classes (hou, hou, le vilain mot) et que pour reprendre le saisissant raccourci que Lasch emprunte à Michael Young : l'objection véritable à la méritocratie [c'est] qu'elle vide tous les talents des classes inférieures, et les prive ainsi d'une direction efficace. Élévation du niveau général contre mobilité sociale, démocratie contre méritocratie, c'est aussi autour de cela que tournait le livre de François Dubet Les places et les chances.