mardi 29 novembre 2011

The fall of Rome -- W. H. Auden



for Cyril Connolly.
 
The piers are pummelled by the waves;
In a lonely field the rain
Lashes an abandoned train;
Outlaws fill the mountain caves.

Fantastic grow the evening gowns;
Agents of the Fisc pursue
Absconding tax-defaulters through
The sewers of provincial towns.

Private rites of magic send
The temple prostitutes to sleep;
All the literati keep
An imaginary friend.

Cerebrotonic Cato may
Extol the Ancient Disciplines,
But the muscle-bound Marines
Mutiny for food and pay.

Caesar's double-bed is warm
As an unimportant clerk
Writes I DO NOT LIKE MY WORK
On a pink official form.

Unendowed with wealth or pity,
Little birds with scarlet legs,
Sitting on their speckled eggs,
Eye each flu-infected city.

Altogether elsewhere, vast
Herds of reindeer move across
Miles and miles of golden moss,
Silently and very fast.
 
in Another time,
Random House,
1940




La chute de Rome

pour Cyril Connolly.


Les quais sont battus par les vagues ;
Dans un champ désolé, la pluie
Fouaille un train à l'abandon ;
Les proscrits remplissent les grottes des montagnes.

Les robes du soir deviennent fantastiques ;
Les agents du fisc poursuivent
Les fraudeurs en fuite à travers
Les égouts des villes de province.

Des rites magiques secrets
Envoient dormir les prostituées du templs ;
Les literati entretiennent
Tous un imaginaire ami.

Caton le Cérébrotonique peut bien
Prôner l'Antique Discipline
Les fusiliers marins musclés
Se mutinent pour la solde et la tambouille.

Le grand lit de César est tiède
Tandis qu'un petit employé
Écrit JE N'AIME PAS MON TRAVAIL
Sur un papier rose officiel.

Nés sans argent et sans pitié,
Des oiseaux à patte écarlate,
Assis sur leurs œufs tachetés,
Regardent les villes grippées.

Ailleurs, très loin de là, de vastes
Troupeaux de rennes parcourent
Des lieues de mousse dorée,
Silencieux, à toute allure.

W. H. Auden, Poésies Choisies
traduction de Jean Lambert
Poésies / Gallimard




à Mario Monti ...


Comme Auden le souligne avec perspicacité strophe après strophe, quand le poisson du proverbe a les proportions d'un Empire agonisant, c'est par tous les côtés simultanément qu'il pourrit, et pas seulement ou d'abord par la tête. S'en souvenir, même si la tête en l'occurrence peut sembler saturer l'espace médiatique.






 

lundi 28 novembre 2011

Un peu de lecture ?


Ici. , par exemple.

Fabienne Courtade

 
 
(nous restons là
un jour de plus

et nous regardons
jour après jour

cette main qui ne sait jamais
ce que donne
l'autre main



publié dans le premier numéro de Double Change, c'était en 2001 ; pas oublié depuis.
A propos de Fabienne Courtade, voir ici et .


Non, non, ce n'est pas une étourderie : la parenthèse ne se ferme pas, comme souvent chez Fabienne Courtade.



Gheel - La ville des fous -- Per Odensten



Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.


Ainsi débute ce livre (traduit et présenté par Régis Boyer chez Arcane 17, 1991). Si cette étrangeté de ton vous rebute, inutile d'aller plus loin : cela continue ainsi sur 400 pages. Un grand opéra baroque : on pense souvent à Szentkuthy pour l'ampleur des thématiques qui passent en arrière-plan et l'omniprésence du mysticisme (Swedenborg, en l'occurrence) mais avec une prégnance plus importante des personnages et des intrigues (chez Szentkuthy, les personnages sont souvent de simples marionnettes, prétextes à de colossaux développements à tiroirs), une polyphonie d'intrigues qui fait penser à Garcia Marquez mais dans une atmosphère bien différente.

Ce qui frappe aussi d’emblée dans ce livre, c'est une extraordinaire attention portée aux sensations, aux odeurs en particulier.

Un livre que j'ai longtemps cru unique mais Sans Pouce, le narrateur, revient dans Une lampe à ténèbres (encore traduit par Régis Boyer chez Rivages, 2005).

samedi 26 novembre 2011

La chouette -- Ko Un



Tétradrachme athénien (revers)
frappé vers 450-400 av JC



La chouette en plein jour
ouvre grand les yeux
ne voit rien
Attends !
Ta nuit viendra à coup sûr.



in Ko Un, Qu'est-ce ? poèmes zen, traduit par No Mi-Suk et Alain Génetiot, Maisonneuve et Larose, 2000



En attendant que cette nuit qui devrait voir l'envol de l'oiseau de Minerve cesse de toujours reculer devant les néons scintillants du Divin Marché :




 

vendredi 25 novembre 2011

Corrigeons ...




Je suis couché sur la bat-flanc et tout ce qu'il y a de vivant en moi qui suis à demi-mort, c'est ma foi : l'histoire des hommes, c'est l'histoire de la liberté. L'histoire de toute la vie, depuis l'amibe jusqu'au genre humain, c'est l'histoire de la liberté, le passage d'une moindre liberté à une plus grande liberté, et la vie elle-même est liberté. Cette foi me donne de la force et je caresse cette pensée qui se cache dans nos haillons de prisonnier : "Tout ce qui est inhumain est insensé et inutile."
Alexis Samoïlovitch m'écoute, moi, le demi-mort, et me dit :
- Ce n'est là qu'une illusion pénible. L'histoire de la vie, c'est l'histoire de la violence invaincue, insurmontée. La violence est éternelle et indestructible. Elle se transforme mais ne disparaît pas et ne diminue pas. Le mot histoire a été inventé par les hommes. Il n'y a pas d'histoire. L'histoire ? C'est de l'eau que l'on pile dans un mortier. L'homme n'évolue pas de l'inférieur au supérieur. L'homme est immobile comme un bloc de granit. Sa bonté, son esprit, sa liberté sont immobiles. L'humain ne s'accroît pas dans l'homme. Quelle est donc l'histoire de l'homme si sa bonté est immobile ?


in Vassili Grossman, Tout passe, traduit par Jacqueline Lafond à L’Âge d'homme (1984)

(c'est moi qui souligne)

lundi 21 novembre 2011

Jeszce -- Wisława Szymborska


W zaplombowanych wagonach
jadą krajem imiona,
a dokąd tak jechać będą,
a czy kiedy wysiędą,
nie pytajcie, nie powiem, nie wiem.

Imię Natan bije pięścią w ścianę,
imię Izaak śpiewa obłąkane,
imię Sara wody woła dla imienia
Aaron, które umiera z pragnienia.

Nie skacz w biegu, imię Dawida.
Tyś jest imię skazujące na klęskę,
nie dawane nikomu, bez domu,
do noszenia w tym kraju zbyt ciężkie.

Syn niech imię słowiańskie ma,
bo tu liczą włosy na głowie,
bo tu dzielą dobro od zła
wedle imion i kroju powiek.

Nie skacz w biegu. Syn będzie Lech.
Nie skacz w biegu. Jeszcze nie pora.
Nie skacz. Noc się rozlega jak śmiech
i przedrzeźnia kół stukanie na torach.

Chmura z ludźmi nad krajem szła,
z dużej chmury mały deszcze, jedna łza,
mały deszcze, jedna łza, suchy czas.
Tory wiodą czarny las.

Tak to, tak, stuka koło. Las bez polan.
Tak to, tak. Lasem jedzie transport wołań.
Tak to, tak. Obudzona w nocy słyszę
tak to, tak, łomotanie ciszy w ciszę.




Encore

Dans les wagons plombés
des noms traversent le pays,
mais où s'en vont-ils ainsi
et quand descendront-ils enfin,
cela ne me le demandez point,
je ne le dirai pas, n'en sais rien.

Le nom Nathan frappe sur la portière,
le nom Isaac, dément, se met à chanter,
le nom Sarah implore de l'eau pour le nom
Aaron qui dès lors à la soif succombe.

Ne saute pas du train en marche, nom David,
nom qui condamne à être vaincu
et que nul ne veut plus donner, nom sans abri,
trop lourd à porter dans ce pays.

Que mon fils ait un nom bien slave
car ici on compte chaque cheveu,
car ici on distingue le bien du mal
suivant le nom et la coupe des yeux.

Ne saute pas du train. Miroslaw sera le fils.
Ne saute pas. Il n'est pas encore temps.
Ne saute pas. La nuit retentit comme le rire
et singe le grincement des roues sur les rails.

Un nuage d'hommes a couvert le pays,
du grand nuage une petite pluie,
une petite pluie, une larme, un temps sec.
Les rails mènent dans un bois noir.

C'est comme ça, crie la roue. Le bois est sans clairières.
Comme ça, comme ça. Un transport d'appels s'en va.
Comme ça, comme ça. Réveillée la nuit, j'entends
les coups sourds du silence dans le silence.


Wisława Szymborska, Dans le fleuve d’Héraclite,
traduit par Lucienne Rey,
Maison de la Poésie Nord-Pas de Calais, 1995
  

Belle traduction ; pour la dernière strophe, je ne crois pas qu'on puisse laisser de côté le dernier tak to, tak ; cela pourrait donner quelque chose comme :


Comm'ça, c'est comm'ça, crie la roue. Forêt sans clairière.
Comm'ça, c'est comm'ça, un convoi de cris file vers la forêt.
Comm'ça, c'est comm'ça, la nuit, éveillée, j'entends
comm'ça, c'est comm'ça, le martèlement du silence dans le silence.



Aussi difficile, Chmura z ludźmi nad krajem szła ... ; ce vers-là est un de ceux qu'on retient immédiatement, jumeau du dann habt ihr ein Grab in den Wolken da liegt man nicht eng dans Todesfuge de Paul Celan. Pour essayer de conserver le parallélisme entre les deux premiers vers, en espérant que le sens s'y retrouve :


Des hommes, un nuage, qui a recouvert le pays,
du grand nuage, une petite pluie, juste une larme,
une petite pluie, juste une larme, sécheresse des temps.
Les rails mènent à la forêt noire.



Également, j'ai un peu de mal à saisir la raison de la substitution de Lech par Miroslaw ... crainte d'une interprétation aussi erronée que moustachue ? Szymborska est au-dessus de cela !




04/12/2011

Tant qu'on y est, une traduction anglaise, par Magnus Jan Krynski (1922-1989), extraite de son receuil de traductions de Wisława Szymborska, Sounds Feelings Thoughts, (Lockert Library of Poetry) :


Still

In sealed box cars travel
names across the land,
and how far they will travel so,
and will they ever get out,
don't ask, I won't say, I don't know.

The name Nathan strikes fist against wall,
the name Isaac, demented, sings,
the name Sarah calls out for water
for the name Aaron that's dying of thirst.

Don't jump while it's moving, name David.
You're a name that dooms to defeat,
given to no one, and homeless,
too heavy to bear in this land.

Let your son have a Slavic name,
for here they count hairs on the head,
for here they tell good from evil
by names and by eyelids' shape.

Don't jump while it's moving. Your son will be Lech.
Don't jump while it's moving. Not time yet.
Don't jump. The night echoes like laughter
mocking clatter of wheels upon tracks.

A cloud made of people moved over the land,
a big cloud gives a small rain, one tear,
a small rain-one tear, a dry season.
Tracks lead off into black forest.

Cor-rect, cor-rect clicks the wheel. Gladeless forest.
Cor-rect, cor-rect. Through the forest a convoy of clamors.
Cor-rect, cor-rect. Awakened in the night I hear
cor-rect, cor-rect, crash of silence on silence.





Enfin, à propos de traduction, good, very good news :


Clare Cavanagh and Stanisław Barańczak are this year’s recipients of the ‘Found in Translation’ award for an English language version of the poetry of Nobel prize for literature winner Wisława Szymborska.

Rien de plus mérité ; leur travail autour de Szymborska est exemplaire à tous les points de vue.

samedi 19 novembre 2011

Black-Label et autres poèmes -- Léon Gontran Damas (1912-1978)


Des trois grandes voix fondatrices de la "négritude", celle de Damas reste celle qui ne passe pas ; Damas, Césaire, Senghor partagent une histoire commune dans l'entre-deux guerres et la guerre mais l'après-guerre les sépare : Senghor et Césaire trouvent (symétriquement) leurs places dans le petit théâtre politico-littéraire hexagonal, sans que cela affecte d'ailleurs leur puissance poétique (au contraire, cet ancrage les rend "lisibles"), l'un douillettement lové à l'ombre de Mongénéral, l'autre inconfortablement tapi aux marges du Parti, sous l'ombre de Breton. Damas, lui, a choisi Desnos, la liberté et la révolte nues : on le calomniera faute de pouvoir l'oublier. C'est une autre voix, sèche et tendre tour à tour, plus enracinée dans une histoire personnelle douloureuse, que Damas donne à entendre. D'autres rythmes aussi, d'autres références, comme celles liées à la Harlem Renaissance dont Damas fréquenta les visiteurs parisiens dans les années trente.


BLACK-LABEL A BOIRE
pour ne pas changer
Black-Label à boire
à quoi bon changer


Quatre vers qui reviennent comme un refrain, un précipité de sens que ce long poème (un extrait ici) déroule un à un, de l'intime au politique, à égale distance des perfections grammairiennes et des pyrotechnies miraculeuses, une voix ...


Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu'elle ne fait plus tinter les oreilles,
Une voix, comme un tambour, voilée
Parvient pourtant, distinctement, jusqu'à nous.

Bien qu'elle semble sortir d'un tombeau
Elle ne parle que d'été et de printemps.
Elle emplit le corps de joie,
Elle allume aux lèvres le sourire.

Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et des batailles,
L'écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.

Et vous ? Ne l'entendez-vous pas ?
Elle dit "La peine sera de courte durée"
Elle dit "La belle saison est proche."

Ne l'entendez-vous pas ?


(La voix, Robert Desnos, in Contrée (1936-1940))


L'extrait disponible en ligne indiqué plus haut explore la veine politique ; le poème débute dans le registre intime :







Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.


Black-Label était sorti en 1956 chez Gallimard. Depuis longtemps indisponible, il ressort dans la collection Poésie / Gallimard depuis fin septembre 2011 (avec une notice très utile de Sandrine Poujols) . Il était temps, non ?


Un autre recueil, Pigments - Névralgies est disponible aux éditions Présence africaine.

Rétrospective Béla Tarr


Au Centre Pompidou, dans le cadre du Festival d'Automne (du 29/11/2011 au 02/01/2012).
 

Sátántangó (1994, 7h30' de projection)


Béla Tarr ? Tu t'emmerdes en silence, longtemps, très longtemps, tu pestes, tu jures qu'on ne t'y reprendra plus et, des mois plus tard, tu t'aperçois que cela va te nourrir l'âme pour le reste de tes jours.
 

mercredi 16 novembre 2011

Landschaft -- Paul Celan


Ihr hohen Pappeln - Menschen dieser Erde !
Ihr schwarzen Teiche Glücks - ihr spiegelte sie zu Tode !
Ich sah Dich, Schwester, stehn in diesem Glanze.


Paysage
 
Vous, grands peupliers - hommes de cette Terre !
Vous, noirs étangs du bonheur - vous les avez reflétés jusque dans la mort !
Je t'ai vue, ma Sœur, te dresser dans cet éclat.



in Mohn und Gedächtnis (Pavot et mémoire), 1952


Le premier vers donne une clé (Pappel > populus > peuple) pour la lecture de Ich hörte sagen, le poème qui ouvre Von Schwelle zu Schwelle (De seuil en seuil), le recueil suivant (1955) dont le dernier vers est :


Und sah meine Pappel nicht mehr.
Et je n'ai plus vu mon peuplier.



Pour un commentaire lumineux de ces deux poèmes, voir Le méridien de la modernité - entre Rilke et Celan, in Le cœur / La mort - De l'ana-chronisme de l'être de Yazuo Kobayashi (UTCP, 2007).

(La traduction proposée ci-dessus de Landschaft repose en grande partie sur ce commentaire, surtout - bizarrement ! - là où elle diffère de celle donnée par Kobayashi dans son article.)
 



dimanche 13 novembre 2011

The ballad of Genesis and Lady Jaye -- Marie Losier


The light that shine twice as bright burns half as long

(relevé sur la couverture de In the shadow of the sun,
musique de Throbbing Gristle pour un film de Derek Jarman)


COUM Transmission, Throbbing Gristle, Psychic(k) TV, Thee Majesty ... si cela ne vous dit pas grand chose, il est probable que rien ne vous incline a priori à aller voir The ballad of Genesis and Lady Jaye (Marie Losier, avec une bande-son de Bryin Dall), s'il passe encore près de chez vous. 

N'hésitez pourtant pas : un portrait de Genesis P. Orridge aurait pu tourner à l'hagiographie pénible, au grand guignol ou à l'exhibition(isme) d'un monstre de foire tant le personnage semble défier toute notion de normalité.

Question d'angle, c'est à tout le contraire qu'on est convié, ce documentaire est un "tombeau", au sens littéraire du terme, le tombeau de Lady Jaye Breyer (1969-2007), compagne de Genesis, membre de la dernière incarnation de Psychic TV. Évocation sensible et affectueuse d'un couple fusionnel, au-delà du cliché convenu, traversée de rappels sur la trajectoire de Neil Andrew Megson, des humiliations de la public school aux rencontres avec William Burroughs et Brion Gysin, de quelques trop brèves réflexions sur le cut-up et ce qu'il enseigne de la "réalité" ou plutôt de son inexistence.

A la sortie de la séance, un spectateur relevait le tournage essentiellement en super 8 (ou quelque chose d'équivalent) créant un contraste avec le modernisme de la démarche de Genesis ; bien vu pour le super 8 mais pas pour le reste, me semble-t-il. Question de génération, peut-être, mais il est au contraire parfaitement naturel d'avoir choisi (Marie Losier aurait pu filmer en numérique, "comme tout le monde") cet attirail oublié.


En hommage aux fabuleux bidouillages électromécaniques et électroniques de Throbbing Gristle, d'une part : 

AW: The gear that you were using, was it expensive, or was it cheap?
GPO: It was free [laughs]. The bass guitar that we used was left behind by somebody in our basement. [It] didn’t have strings, didn’t have pickups…so we bought two humbucker pickups and stuck ‘em in; we didn’t realize they were meant for lead guitars. Chris [Carter] built his own synthesizer out of modules that he saw in electrician magazines. Sleazy just used some Walkmen and Sony tape decks. And Cosey [Fanni Tutti] bought her guitar at Woolworth’s for 15 pounds. We made our own speaker cabinets. It was as cheap as it could be.
AW: There’s something cool about having that direct a relationship with the shit you’re making sounds out of. It’s not something where you have to learn some other person’s vision, like scroll through menus and acquiesce…
GPO: …we made our own effects pedals, the Gristle-izer, as well.
AW: What was the Gristle-izer?
GPO: It was some circuits that Chris found in a magazine that they said would be good for distortion, and built one each for us, the whole TG sound is those.
AW: Do you have that kind of gear still?
GPO: My Gristle-izer was burned to death in L.A. in ’95, sadly…Sleazy’s just stopped working and couldn’t be repaired, cause now they don’t make the same parts. He tried to make a new one and it just didn’t sound the same. So they’re all gone, from wear and tear, we don’t have ‘em anymore.
 (le reste de cet entretien-fleuve, ici ; excellent !)

Pour resituer Genesis dans sa génération (au hasard, Boyd Rice, Monte Cazazza, Z'ev), d'autre part, celle qui fermera les années 70 et qui avec au moins trente ans d'avance inscrira l'ensemble de sa démarche dans une lutte au corps à corps contre la Machine : la musique industrielle de ces années n'est pas la célébration robotique de la machine toute-puissante ou la célébration de l'hyper-maîtrise technicienne qui n'est que son double inversé; au contraire, elle repose sur le détournement, le "braconnage" (*) aux frontières de la technique, elle est subversion du machinique, "invention du quotidien" (*), elle est aussi affirmation par le corps, par l'inscription sur le corps souvent, d'une totale confiance dans le pouvoir émancipateur pour les autres de sa propre autonomie. Sous cet angle, la trajectoire complexe de Genesis est d'une absolue rectitude et il suffit de relire aujourd'hui le Industrial Culture Handbook (ReSearch, 1983) pour s'en convaincre :

I'd like to be able to present whatever we do so that somebody with no training can get into it as easily as somebody with training. Quite often it is the people without training who get into it quicker. And often it is the people with training who are most antagonistic. And to do it without simplifying it, without taking any of its power away, so that you're not being patronizing--you're merely trying to take away the mystique and the vested interest in trying to sound like you've got to be special to understand this. It doesn't have to be a bastardized version to be understood by a lot of people. I'd like to try and find a form that treats everybody as being intelligent, at least potentially ... You assume initially that people want a bit more content, some project which has a lot more depth to it, and that the fact that everyone says "Oh, everyone just wants trivia and superficiality" isn't true. People are actually pleased to be given a bit more credit for a bit more intelligence. I think it's far better to make something on the assumption that people will work to understand it ...


(*) termes empruntés à Michel de Certeau, L'invention du quotidien, édition établie et présentée par Luce Giard, Gallimard, 1990



A Lady Jaye aussi, on pourrait dédier La mort rose ; simplement, à l'époque, ce fut Because I could not stop for Death (Emily Dickinson) :



Because I could not stop for Death-
He kindly stopped for me-
The Carriage held but just Ourselves-
And Immortality.

We slowly drove-He knew no haste
And I had put away
My labor and my leisure too,
For His Civility-

We passed the School, where Children strove
At Recess-in the Ring-
We passed the Fields of Gazing Grain-
We passed the Setting Sun-

Or rather-He passed Us-
The Dews drew quivering and chill-
For only Gossamer, my Gown-
My Tippet-only Tulle-

We paused before a House that seemed
A Swelling of the Ground-
The Roof was scarcely visible-
The Cornice-in the Ground-

Since then-'tis Centuries-and yet
Feels shorter than the Day
I first surmised the Horses' Heads
Were toward Eternity-




Puisque je ne pouvais m'arrêter pour la Mort —
Ce Gentleman eut la bonté de s'arrêter pour moi —
Dans la Voiture il n'y avait que Nous —
Et l'Immortalité.

Nous roulions lentement — Il n'était pas pressé
Et j'avais mis de côté
Mon labeur ainsi que mon loisir,
En réponse à Sa Civilité —

Nous passâmes l'École, où les Enfants s'efforçaient
De faire la Ronde — à la Récréation —
Nous passâmes les Champs d'Épis qui nous dévisageaient —
Nous passâmes le Soleil Couchant —

Ou plutôt — c'est Lui qui Nous dépassa —
Les Rosées tombèrent frissonnantes et Froides —
Car ma Robe n'était que de Gaze —
Mon Étole — de Tulle —

Nous fîmes halte devant une Maison qui semblait
Un Gonflement du Sol —
Le Toit était à peine visible —
La Corniche — Enterrée —

Depuis — ça fait des Siècles — et pourtant
Cela paraît plus court que le Jour
Où je me suis doutée que la Tête des Chevaux
Était tournée vers l'Éternité —

in Emily Dickinson, Poésies complètes,
édition bilingue,
traduction de Françoise Delphy,
Flammarion



C'est peut-être en partie cela vieillir ; éprouver (et non simplement concevoir, avec Auguste Comte) qu'il y a plus de morts que de vivants et ce sont les morts qui dirigent les vivants.

vendredi 11 novembre 2011

La meule -- Attâr


Un jour Abou Saïd entra dans un moulin
    et, voyant de la meule la rotation ardente,
Il resta un moment la contemplant
    puis à ses disciples il confia ses pensées :
"Cette meule, dit-il, est un bon professeur ;
    si le profane est incapable de l'entendre,
Elle vient de me dire, à moi, dans son langage :
    Regarde tu peux voir en moi le vrai soufi.
Si tu sais t'efforcer sur le chemin mystique,
    tu n'auras pas besoin d'autre maître que moi.
Voyageant jour et nuit sans arrêt sur moi-même,
    je marche et cependant mon pied reste immobile.
Je me meux sans pourtant me mouvoir,
    et je vais de ma tête à mon pied, de mon pied à ma tête.
Et ce que je reçois de tous est rude et dur,
    et ce que je donne à chacun est tendre et doux.
Et l'on pourrait bien voir crouler tout l'univers,
    cette ronde éperdue est mon unique affaire."


in Anthologie de la poésie persane (XIème-XXème siècle), textes choisis par Z. Safâ, traduits par G. Lazard, R. Lescot et H. Massé, Connaissance de l'Orient, Gallimard Unesco, 1964)

Voir aussi ici.


Trop belle pour être vraie ?


Une tradition orale que j'ai recueillie à Genève durant les dernières années de la première guerre mondiale veut que Michel Servet ait dit aux juges qui l'avaient condamné au bûcher : "Je brûlerai, mais ceci n'est rien d'autre qu'un fait. Nous continuerons à discuter dans l'éternité." 

(JL Borges, note Art de l'insulte in Histoire de l'éternité


Bon ... une "tradition orale", sous la plume de Borges, cela se prend avec précaution mais la réplique est belle.

jeudi 10 novembre 2011

La joie -- Vladimír Holan (1905-1980)


La joie ! Elle existe. Elle existe réellement. Elle existe vraiment !
Mais si pour nous, les "grands", elle n'est plus qu'une tentation
incompréhensible comme les derniers mots des agonisants,
elle demeure chez les enfants comme un trop-plein de la vie qui vient de naître,
comme une profusion qui voudrait bien un tout petit peu vieillir
et qui n'y arrivant pas chante, ou simplement s'avoue ...
C'est ainsi que tu rencontres une petite fille et c'est elle qui va commencer, avec une sorte
de sauvagerie dans la voix, car elle ne sait pas comment elle-même va pouvoir supporter
la vue de l'espace adulte futur.
"Moi, dit-elle, je suis de trois centimètres plus grande que mon âge.
Tous ceux qui ont soixante centimètres vont apprendre à nager
et comme moi, j'ai trois centimètres en plus,
alors ils m'ont acceptée ..."
Elle avait à peu près sept ans et elle était mince et ne cessait de répéter :
"Je suis tellement heureuse, je suis tellement heureuse !"
et de fait, elle respirait une réalité en quelque sorte oubliée
et le but refoulé de notre existence.
Là-dessus elle courrait vers les autres fillettes et leur racontait la même histoire.
Pourtant quand elle revint, son visage s'était un peu assombri
et elle s'écria : "Elles me disent que pour être admise, il faut une carte d'identité, pourtant moi, je le sais bien,
et la maîtresse, elle, me croit ..."
Puis elle se remit à rayonner, même si la jalousie de ses petites camarades
avait versé dans sa lumière une goutte d'amertume.
"Quand je suis née, je ne le sais pas, mais je vais le demander",
finit-elle par murmurer pensivement.


(un poème de 1947, in Une nuit avec Hamlet et autres poèmes, traduit et présenté par Dominique Grandmont, Poésie Gallimard)

lundi 7 novembre 2011

Abus de confiance -- Jean Tardieu


J'habite ici une maison en tous points semblable à la mienne : disposition des pièces, odeur du vestibule, meubles, lumière oblique le matin, atténuée à midi, sournoise le soir - tout est pareil, même les allées et les arbres du jardin et cette ancienne porte à demi démolie et les pavés de la cour.

Les heures aussi et les minutes du temps qui passe sont semblables aux heures et aux minutes de ma vie. Au moment où elles tournent autour de moi : "Comme elles ont l'air vrai, me dis-je. Comme elles ressemblent aux véritables heures que je vis en ce moment !"

Quant à moi, bien que j'ai écarté de ma maison toute surface réfléchissante, si cependant l'inévitable vitre d'une fenêtre s'obstine à me renvoyer mon reflet, je vois bien là quelqu'un qui me ressemble. Oui, qui me ressemble beaucoup, j'en conviens !...

Mais, que l'on aille pas prétendre que c'est moi ! Allons donc ! Tout est faux, ici. Quand on m'aura rendu ma maison et ma vie - alors je retrouverai mon vrai visage.




dimanche 6 novembre 2011

Un transcental quoi, déjà ?


«Le budget 2012 sera l'un des plus rigoureux depuis 1945.»





Certainement soulignée d'un volontaire mouvement de menton, cette fillonade cache bien mal son subliminal, ou plutôt le rend absolument explicite : en dépit des besogneux sous-titres qui la commentent en référence au budget de sortie de guerre de Mongénéral, c'est bien plutôt la regrettable parenthèse ouverte dans l'Œuvre de Redressement National par les malencontreux événements de 1945 qu'il s'agit de refermer.  

 

jeudi 3 novembre 2011

Grèce : juste un "moment" de vérité, un court et fugitif "moment"



Climate Camp
Londres, Août 2009
autant dire il y a deux siècles ...

Nécessairement court, nécessairement fugitif ...
  
Non que l'intervention des peuples ne soit pas, et nécessaire, et légitime, par référendum ou par tout autre moyen, au milieu du jeu de massacre qui les concerne au premier chef ; simplement :

Dans le monde réellement renversé, le vrai n'est qu'un moment du faux. (*)

Que le truchement de ce "moment" ai été un vulgaire Papandreou en dit long sur le "réellement renversé".


(*) Guy Debord, La société du spectacle (Folio), thèse 9

mercredi 2 novembre 2011

L'arc et le panier -- Pierre Clastres

 
 
De cet essai inclus dans La Société contre l’État (qui vient d'être réédité par Minuit), j'extraie ce passage relatif au langage :


 
Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.


Avec le dernier, qui donne son titre à l'ouvrage, L'arc et le panier est sûrement le plus connu des articles de La Société contre l'État

Il y a deux autres articles qui me sont encore plus chers : 

  • Prophètes dans la Jungle, qui présente et retranscrit une méditation Guarani (Mbya) à inscrire au voisinage immédiat de l'Ecclésiaste et des Psaumes (oui, "et" ; c'est le tour de force que cette adresse au Dieu caché réalise) ;
  • De l'Un sans le Multiple, qui commente une autre réflexion d'un karaï Guarani, "Les choses en leur totalité sont une ; et pour nous qui n'avons pas désiré cela, elles sont mauvaises.", obscure et profonde comme un fragment d'Héraclite ou du Tchouang-Tseu.