jeudi 21 juillet 2011

Simplicité


André Kertesz
Portrait d'Hélène Terraz
Notre-Dame-du-pré, 1931



Tout cela (+), un autre mot que j'emprunte à la Lettre Hors Commerce mais qui connaît bien d'autres occurrences en opère la fusion : Simplicité. Qu'il ne faut pas comprendre en l'opposant à multiplicité, bien au contraire. N'est pas simple celui qui prétend, par la force de la raison ou la force tout court, ramener tout à l'un. Est simple celui qui sait dire et ou et puis. Est simple celui qui accepte le reroutement et qui se meut selon d'imprévisibles obliques peu soucieuses de parvenir. Est simple l'égaré : un vagabond, le long d'une route, un moine zen qui se promène dans sa montagne avec un gros bâton pour taper sur la tête des questionneurs, des raisonneurs, des philosophes. La raison, le Simple, le poète, René Char, ni ne la hait, ni ne la méprise. Mais il en sait la limite comme il sait l'obscurité et le mystère illimité qui l'enveloppe. Il est comme Zarathoustra au regard de l'homme : s'il dénonce le trop humain, ce n'est pas pour abaisser mais pour élever. Le gourdin pédagogue vise à l’Éveil. Ainsi, ressemblant à l'enfant et à l'animal mais désignant d'eux la forme souveraine, il est leur même et il est leur autre, comme la Grande Santé nietzschéenne est à la fois même et autre que sa naïve sœur, bonne seulement de n'avoir pas eu à rencontrer ni affronter la maladie. L'ubris, l'orgueil, la violence, l'intolérance et tut ce qui est opposé à la simplicité, René Char n'en ignore rien. Il les a traversées, il les retraverse sans cesse. Le Simple est simple contre lui-même, est ou plutôt devient d'une tâche interminable ou d'un chemin bouclé. On ne s'installe pas dans la simplicité. Elle est un vrai combat, une toilette de chaque jour dont la poésie pourrait bien être le glissant "savon philosophal" (*) et la nuit l'eau lustrale.

Le simple n'a pas de nom.
Le simple n'a pas de tics.
Le simple est pauvre. Il n'est personne.


Char - Le Rempart de brindilles - p.359
"Le dessein de la poésie étant de nous rendre souverain en nous impersonnalisant ..."



(+) à propos de l'effacement volontaire de René Char au sortir de la guerre, "franchissement d'une frontière au-delà de laquelle commencerait la terre d'un égarement sans retour. (...) Mais bien plus que d'un fait - datable il s'agit là d'un processus, dont aussi bien l'horizon que l'origine nous échappent." (Philippe Castellin, ibid)
(*) Char, Interview Magazine Littéraire 1976



in Philippe Castelin, René Char, traces, Editeurs les Evidants, 1989





Feuilleter ce trésor qu'est La Savoie d'André Kertesz, Jean et Renée Nicolas et Pascal Lemaître (La Fontaine de Siloé, 2004), d'où est tirée l'illustration au-dessus, relire Soleil des eaux ("Je sais aussi que c'est dans l'espoir que se réfugie tout le sang humilié des hommes") ou Les Transparents :


Albert Ensénada

Le monde où les Transparents vivaient et qu'ils aimaient, prend fin. Albert le sait.


Les fusils chargés nous remplacent
Et se tait l'aboiement des chiens.
Apparaissez formes de glace,
Nous, Transparents, irons plus loin.



et encore ceci, extrait de Pourquoi du "Soleil des eaux" :


Je crois que la poésie, avant d'acquérir pour toujours, et grâce à un seul, sa dimension et ses pouvoirs, existe préliminairement en traits, en spectre et en vapeur dans le dialogue des êtres qui vivent en intelligence patente avec les ébauches autant qu'avec les grands ouvrages vraiment accomplis de la Création. La menace quasi constante d'anéantissement qui pèse sur eux est leur plus sûre sauvegarde. L'apprentissage du poète qui a lieu en pareille compagnie est un apprentissage privilégié