lundi 16 mai 2011

La jungla -- Daniel Maximin



 Wilfredo Lam (1902-1982)
Sans titre, 1947


Le commencement de la tyrannie provoque
la pointe de liberté insérée dans la devenir sans
fin, pour dépasser la tyrannie elle-même.

Wilfredo Lam


La jungle était ton paysage natal
au ciel, le tonnerre et l'éclair bâillonnaient la voix des dieux exilés
sur terre, les diables et le Bon Dieu couvaient les cris esclaves pour générer l'enfer
et toi, tu es né de la relève de la mort étranglée par le nœud de mille cordons ombilicaux
ton blason a redoré le soleil
ton art a conjuré la mer et l'exil d'Olorun
comme nos îles ont éclos en apostrophe d'apocalypse

oui il s'agit bien d'un peuple debout en balance sur la mappemonde incandescente condensée en la mère-Caraïbe, sans un coin d'espace gaspillé dans l'île ni sur le tableau

oui, ici chaque visage est un fruit, ou alors un soleil, une lune, une mandoline, un petit cheval. Les yeux sont des étoiles à éclairer les coutelas

oui il s'agit bien ici de sèves libres de racines, de pourritures ordonnées par des couleurs d'initiation, de sources grimpées aux arbres
et puis d'hommes-colibris, de femmes-flamboyants, de lèvres-hibiscus
une forêt de danseurs aux pieds déracinés
oui, ici encore, Lam contrarie le mal pour enflammer les âùes et réchauffer une sève qui marronne une liberté dans le déracinement
des hommes-plantes se redressent dans un bruit de cassure des vieux-corps, et leurs cannes éjaculent du rhum dans la fleur de belles fées noires déguisées en sorcières pour sucrer le destin
offrande aux aubes sans aubiers

(in L'invention des désirades et autres poèmes, 2000/2009, Points Gallimard)

Pour le tableau de Wilfredo Lam, La Jungla, voir plus bas.