jeudi 24 février 2011

Où est passé l'avenir ? -- Marc Augé


Connecting the dots ...

Rien de tel que le regard de l'ethnologue pour faire émerger "la grosse image". C'est ce à quoi Marc Augé se consacre au fil de ses livres (outre celui-ci, voir particulièrement Non-lieux qui interrogeait les changements de la notion d'espace et de mouvement) qui constituent une critique radicale de la marche du monde et lancent, sans effort apparent, en se concentrant sur des notions très larges comme l'espace, le temps et sa scansion passé/présent/futur, des liens entre les approches des critiques de la valeur, de la technique et du spectacle.




Leonard Sempolinski (1902-1988)
Varsovie 1956
Les ruines et le Palais des Sciences et de la Culture



Un passage m'aura particulièrement marqué, où Marc Augé convainc par une sorte de raisonnement a contrario que notre société entièrement médiatisée par le travail abstrait est, comme les sociétés primitives, une société de l'immanence. L'argument est une simple mise en parallèle de la destruction définitive de l'ensemble des représentations consécutive à la colonisation d'une part, au chômage de masse de l'autre.
Loin de la rigueur (un peu - beaucoup ? - pénible, quand même, je n'ai toujours pas fini Temps , travail et domination sociale ) d'un Moishe Postone, cet argument tient un peu du koan : il crée une brèche ; au lecteur de l'élargir par ses propres moyens.
Bien sûr, la moitié de cette remarque est déjà dans  Bourdieu mais elle est formulée dans la perspective de l'individu et de la perte de ses représentations ; Augé retourne et complète cette perspective en une remarque sur la nature de notre monde où le travail (abstrait), et lui seul, fait société et la relie à la notion de présent sidérant qui semble avoir suspendu tout autre devenir que celui de la biologie (et encore est-il combattu bien vigoureusement : vieillir est devenu indécent ...)  et pourtant craque actuellement de toute part. Si tant est qu'être contemporain, c'est vivre un présent où se cherchent et éventuellement se nouent les linéaments du passé et de l'avenir, force est de constater que nous ne sommes plus nos propres contemporains et encore moins les contemporains de ceux qui vivent dans les marges du système, dans ce local qui change de statut à mesure que la dichotomie systémique intérieur/extérieur vient remplacer l'ancienne dichotomie spatiale global/local. Le système recouvre l'espace qui recouvre le temps.

Un grand livre dans un tout petit volume (131 pages, dans la collection Points/Essais) !

Un entretien autour de ce livre, ici.