mardi 1 février 2011

Ophelia -- Peter Huchel (1903-1981)


Später, am Morgen,
gegen die weisse Dämmerung hin,
die Waten von Stiefeln
in seichten Gewässer,
das Stossen von Stangen,
ein rauhes Kommando,
sie heben die Schlammige
Stacheldrahtreuse.

Kein Königreich,
Ophelia,
wo ein Schrei
das Wasser höhlt,
ein Zauber
die Kugel
am Weidenblatt zersplitten lässt

in Gezählte Tage, Suhrkamp, 1972


La traduction donnée précédemment était de Mireille Gansel, à comparer à celle, ci-dessous d'Emmanuel Moses (in La tristesse est inhabitable, Orphée/La Différence 1990) :


Ophélie

Plus tard, au matin,
vers le crépuscule blanc,
le pataugement des bottes
dans l'eau peu profonde,
le coup de perches,
un commandement rèche,
ils soulèvent la nasse de barbelés
boueux.

Pas de royaume,
Ophélie,
là où un cri
creuse l'eau,
un sortilège
laisse éclater
la balle
sur la feuille du saule.



"Misérable miracle" de la traduction ... Je préfère le rendu très "glauque" de la première strophe par Emmanuel Moses (la nasse de barbelés / boueux me paraît plus heureux et évite l'inversion peu naturelle de la traduction de Mireille Gansel) ; encore que traduire Dämmerung par crépuscule semble hors contexte (am Morgen ...) : aube irait parfaitement. 
C'est toutefois l'interprétation par Mireille Gansel de la deuxième strophe qui me semble préférable : là où l'allemand en ne doublant pas le wo (wo ein Schrei (...), (wo) ein Zauber), laisse deux lectures possibles (*), le français force à choisir.

(*) à vrai dire, l'ambiguïté me semble toute relative : c'est seulement en lisant la traduction d'Emmanuel Moses que j'ai pris conscience de l'absence de ce redoublement explicite ! Ce que je persiste à lire, c'est cela :

Pas de royaume,
Ophélie,
là où un cri
creuse l'eau,
là où un maléfice
fait crépiter
la balle
sur la feuille du saule.




Juste pour mémoire, le monologue de Gertrude dans Hamlet (IV, vii), où s'ancrent les thèmes de la boue et du saule :

There is a willow grows aslant a brook,
That shows his hoar leaves in the glassy stream.
There with fantastic garlands did she come
Of crowflowers, nettles, daisies, and long purples,
That liberal shepherds give a grosser name,
But our cold maids do dead men's fingers call them.
There on the pendant boughs her coronet weeds
Clamb'ring to hang, an envious sliver broke,
When down her weedy trophies and herself
Fell in the weeping brook. Her clothes spread wide
And, mermaid-like, awhile they bore her up;
Which time she chaunted snatches of old tunes,
As one incapable of her own distress,
Or like a creature native and indued
Unto that element; but long it could not be
Till that her garments, heavy with their drink,
Pull'd the poor wretch from her melodious lay
To muddy death. 

Est-ce vouloir pousser trop loin le parallélisme que de juxtaposer aussi ein Schrei / das Wasser höhlt (un cri / qui creuse l'eau) et she chaunted snatches of old tunes, / As one incapable of her own distress, / Or like a creature native and indued / Unto that element
Peut-être, mais she chaunted traîne autour de lui son aura d'incantation, de sorcellerie, plus proche du cri que du chant mélodieux qui serait de toute façon déplacé dans le contexte (As one incapable of her own distress). Oui, je sais il y a aussi l'explicite her melodious lay ...