vendredi 14 janvier 2011

... et révision !


Rien de tel que de mettre deux pensées en parallèle pour s'assurer de façon éclatante qu'on n'a rien compris, ni à l'une, ni à l'autre ! Peu importe, allons-y, la honte au front ... ou pire encore (*) !

Ces deux extraits mettent l'accent sur le caractère "non intentionnel", "incorporé" (peut-être faudrait-il dire "incarné" dans le cas de Michel Henry) de la vision dans son régime le plus pur. Le pouvoir d'imagination appartient soit à la vie, soit participe du régime d'activité selon le Ciel : dans les deux cas, il y a quelque chose "derrière" la conscience qui la fonde et qui est néanmoins accessible. Que ce "quelque chose" prenne l'appellation de Vie ou de Tao n'apporte pas grand chose à la compréhension et Jean-François Billeter a bien raison de traduire Tao différemment selon les contextes ; cela lui évite cette sorte d'aura de mystère qui obscurcit tant d'autres traductions (le Tao ceci, le Tao cela). Michel Henry, malgré la répétition du terme vie (et du moins jusqu'au tournant "théologique" final de sa pensée), parvient à éviter cet écueil par le perpétuel effort d'élucidation auquel il se livre à chaque nouvelle manifestation de ce qu'il appelle la vie ; il se livre en quelque sorte à un effort analogue de traduction de sa propre pensée. De la même façon, on trouve affirmée le paradoxe que c'est dans le régime intentionnel que l'on s'éloigne le plus de la révélation.

Les différences sont néanmoins tout aussi tranchées : chez Michel Henry, le mouvement de la Vie vers l'individualisation est un mouvement ascensionnel dont la culture est le précieux sommet. Au contraire, chez Tchouang-Tseu, le mouvement qui mène de l'activité selon Ciel à celle selon l'Homme a clairement le caractère d'une chute. D'où la différence, l'asymétrie entre "incorporation" et "incarnation". 
Une autre différence vient de la restriction à l'Homme de l'incarnation de la Vie (c'est du moins ainsi que je comprends Michel Henry) : chez Tchouang-Tseu, le régime d'activité selon le Ciel s'étend à partout et n'est pas moins présent (sinon plus) chez le "faisan des marais" que chez Tseu-T'si. Ce qui n'empêche pas de remarquer aussi que ce n'est pas chez le faisan que se produit l'irruption de la subjectivité, le "surgissement créateur" (+).

En dépit du sévère avertissement ci-dessous (*), je ne peux m'empêcher de tenter de mettre en regard, d'une part, la question du corps, entendu comme "l'ensemble de nos facultés, de nos ressources et des forces, connues et inconnues, que nous avons à notre disposition ou qui nous déterminent"  (x), et de la subjectivité comme "surgissement créateur" (+) et, d'autre part, les développements de Paul Audi (Créer, Introduction à l'esth/éthique, Verdier 2010), particulièrement son développement à partir d'extraits de lettres de Van Gogh (p. 175 et suivantes du chapitre justement intitulé "Y mettre sa peau").




(*) "L'écriture ne sera jamais qu'un pis-aller, source d'approximations et de malentendus. C'est ce qui justifie la méfiance que Platon éprouvait à son encontre. On voit trop souvent ce qui arrive lorsque l'écrit cesse d'être développé et corrigé par l'usage de la parole. Chacun se coiffe de mots qu'il comprend à sa façon ou ne comprend pas du tout, et parade comme les pauvres hères de Jérôme Bosch, le chef couvert qui d'un entonnoir, qui d'une baratte à beurre." (JF Billeter, Tchouang-Tseu et la philosophie, Alia 2010)
A tout prendre, et si j'ai le choix, ce sera l'entonnoir !
(+) JF Billeter, Tchouang-Tseu et la philosophie, Allia 2010
(x)  JF Billeter, Etudes sur Tchouang-Tseu, Allia 2004