vendredi 1 octobre 2010

La barbarie -- Michel Henry (1922-2002)

 
Voila un livre bien difficile tant son approche se veut à la fois polémique et profondément ancrée dans le système de Michel Henry ; ce que le livre gagne en mordant, il le perd un peu en cohérence, les exemples polémiques ne pouvant manquer d'appeler de faciles objections idiosyncrasiques quand la présentation que propose Michel Henry de son système (le chapitre 2 en particulier) et les conclusions qu'il en tire, si elles sont particulièrement ardues n'en sont pas moins fortement étayées ; rejeter ces conclusions, c'est entrer en conflit avec les fondements du système, autre chose que de hausser les épaules à l'évocation d'une façade baroque ("Tu parles d'un argument. D'toute façon, j'trouve ça moche.").

Angel of History
Anselm Kieffer


Le point de vue de Michel Henry est résolument anti-technicien - quelque chose qui n'est guère remarquable parmi les phénoménologues ! - mais la singularité de son approche est de fournir une explication convaincante sur la puissance de la science (la révolution galiléenne qui fait des mathématiques le langage de la nature à l'exclusion de l'ensemble des qualités sensibles) en la ré-intégrant à l'intérieur du monde de la Vie (ce niveau fondamental qui ne connait pas de représentation mais s'éprouve soi-même en permanence de façon purement subjective et immanente, qui est en-dessous et à l'origine du monde la conscience qui est celui des représentations) mais précisément comme mouvement de négation, mouvement de la Vie qui ne se supporte plus de s'éprouver et de souffrir, qui ne parvient plus à accéder à la jouissance par delà cette souffrance et cherche à se fuir, éperdument, mais en vain, par principe, car là où la Vie tente de se fuir, elle ne fait que se retrouver elle-même. Interprétation très cohérente dans le système de Michel Henry, qui permet d'éviter de placer la science dans une altérité radicale face à la conscience,altérité dont on comprend mal alors où elle puise sa puissance.

Le passage qui suit est très représentatif du type d'argumentation de Michel Henry dans ce livre :
 






Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.



J'avoue ne pas aimer l'avant-dernier chapitre La destruction de l'Université tant il est vrai que je n'arrive à comprendre ni de quelle Université il peut bien s'agir, ni l'idée d'un refuge "hors du monde" réservé à quelques-uns qui prendraient sur eux de poursuivre indéfiniment le procès de déploiement de la Vie tandis qu'au-dehors le reste de l'humanité  sombrerait dans l'hébétude télévisée à haut débit. Il y a d'autres refuges pour ceux qui ont choisi, et c'est leur droit le plus strict, pas un lecteur de Wang Wei  ou de Han Shan ne me démentira, de ne pas lutter dans la cité sans toutefois en accepter les lois que le moisi des tours d'ivoire.

18/12/2011
Sur cette "religion de la culture" et ses faiblesses, on pourra lire Philip Rieff et la religion de la culture, l'avant-dernier essai de La révolte des élites de Christopher Lasch ; la position de Michel Henry dans ce dernier chapitre est très proche de celle du dernier Rieff, telle que la résume Lasch (je n'ai rien lu de Rieff lui-même).

A l'approche de la pensée de Michel Henry, j'ai fait plus qu'un détour par le livre que Paul Audi lui a consacré (Michel Henry, une trajectoire philosophique, Les Belles Lettres, 2006) ; plusieurs allers-retours, à vrai dire ! Voir aussi ici.

Et puis, si on veut l'aborder par des versants moins pentus, du moins au début,  tant il est vrai qu'à la fin, toutes les faces de la montagne se rejoignent au sommet !, que les faces phénoménologiques, il y a son livre sur Marx (voir aussi ici) ... ou ses romans.