lundi 13 septembre 2010

La sueur panique -- René Daumal (1908-1944)






Des barques glissent

dans des cieux liquides
et les gencives des loups saignent
dans la nuit de velours vert.
Des larmes tissent
dans des yeux limpides
la toile où les regards se teignent
du jeune sang des fronts ouverts.
Le soleil crie
et se débat de tous ses rayons ;
croyez-vous qu'il appelle au secours ?
croyez-vous que le soleil meurt ?
Le sable crisse
au petit jour gelé
sous les pas d'un être invisible ;
croyez-vous qu'il vienne m'étrangler ?
je n'ai que mes mains pour parler,
des oiseaux gris et blancs
ont pris ma voix en s'envolant ;
et mes yeux roses sont aveugles,
mes mains s'agitent vers la forêt,
vers la nuit mouillée,
vers le sommeil vert ;
le soleil crie, croyez-vous qu'il se meure ?
j'entends la voix trop pure de l'eau ;
le soleil crie, c'est une ruse de guerre,
je lui ai tendu les mains,
ses grands bras dans le bleu vide
qui file vainement vers l'horizon,
ses grands bras frappent, frappent mon front,
mon sang coule rose comme mes yeux ;
ô loups, croyez-vous que je meurs ?
loups, inondez-moi de sang noir.


(in Le contre-ciel, René Daumal, Poésie/Gallimard)