mardi 27 juillet 2010

Lichtzwang -- Paul Celan


Le premier recueil posthume de Paul Celan, composé en 1967 et paru en 1970, année de sa mort. Traduit chez Belin par Bertrand Badiou et Jean-Claude Rambach sous le titre Contrainte de lumière (1989).

Les poèmes de la troisième section sont parmi les plus lumineux de Celan :


WURFSCHEIBE, mit
Vorgesichten besternt,

wirf dich

aus dir hinaus.


DISQUE constellé de
prévisions

lance-toi

hors de toi-même.


KLOPF die
Lichtkeile weg :

das schwimmende Wort
hat des Dämmer.


FAIS SAUTER les
cales de lumière :

la parole flottante
est au crépuscule.


DIE ENTSPRUNGENEN
Graupapageien
lesen die Messe
in deinem Mund.

Du hörst regnen
und meinst, auch diesmal
sei's Gott.


EVADES
les perroquets gris
disent la messe
dans ta bouche.

Tu entends qu'il pleut
et tu crois que, cette fois encore,
c'est Dieu.


IN DEN DUNKELSCHLÄGEN erfuhr ichs :

du lebst auf mich zu,dennoch,
im Steigrohr,
im
Steigrohr.


DANS LES COUPES SOMBRES, je l'ai appris :

tu vis à ma rencontre, néanmoins,
dans la colonne montante,
dans
la colonne montante.



Pour le titre, "Lichtzwang", les joueurs d'échecs auront levé l'ambiguïté par analogie avec Zugzwang, la situation où se trouve le joueur dont c'est le tour de jouer et qui préfèrerait passer son tour, tous les coups possibles provoquant un dommage. Ce n'est pas le coup (Zug) proprement dit qui est contraint (Zwang), c'est le joueur qui est contraint (par la règle du jeu) à jouer un coup. En suivant cette analogie, "Lichtzwang", c'est plutôt "Contraint à la lumière" ; "débusqué", pour ainsi dire.

Ce néologisme apparaît dans ce poème de la première section :


WIR LAGEN
schon tief in der Machia, als du
endlich herankrochst.
Doch konnten wir nicht
hinüberdunkeln zu dir :
er herrschte
Lichtzwang.

NOUS GISIONS
déjà au plus profond du maquis quand tu
t'es approché en rampant.
Mais nous ne pouvions pas
ténébrer vers toi :
il régnait
la contrainte de lumière.




C'est dans ce recueil que se trouve l'énigmatique poème Todtnauberg.