jeudi 15 avril 2010

Toute une vie -- Jan Zábrana (bis)


Marquer pour le camp des vaincus ... Qu'est-ce que ma vie depuis dix-sept ans (*) sinon la volonté de marquer pour le camp des vaincus ?

(*) {ndlc : écrit en 1973-1974}



Déclaration de la loi martiale en Pologne. Cette nuit (*). La partie arrive en phase finale mais c'est aussi la partie de notre vie.

(*) {ndlc : samedi-dimanche 13 décembre 1981}



Qui sait si finalement les chars russes n'ont pas sauvegardé l'honneur tchèque. Sans eux, on aurait très bien pu constater que les "réformateurs" étaient incapables de renverser la régime de leurs propres forces -- comme ça s'est passé en Pologne.



Je suis un prisonnier qui n'a pas quitté sa prison après l'ouverture des portes. Non que je ne m'en sois pas aperçu, que l'ouverture des portes m'ait échappé, mais cette longue réclusion a de toute façon détruit, déformé ma vie au point qu'il est devenu inutile d'essayer, de s'efforcer à quoi que ce soit. Cela rappelle -- je pense -- le Mink de Faulkner (*), où au bout de tant de temps, alors que ses meilleures années sont passées, le prisonnier n'a qu'un désir, ne toucher à rien, tout laisser en l'état, être laissé simplement en paix. Ce n'est pas de la lâcheté, ce n'est pas de la résignation. Bon Dieu de merde, où est-ce qu'on a vu jouer que la fatigue, la fatigue mortelle et l'indifférence à son propre avenir __ puisque la vie n'a pas été ce qu'elle aurait du être -- soient quelque chose qu'on puisse condamner moralement ?

(*) {ndlc : allusion au personnage de Mink Snopes du dernier roman de Faulkner, Le domaine}



Le mensonge s'impose en ordre mondial. Cette constatation de Kafka est la maxime la plus vraie que je connaisse sur le vingtième siècle. Personne n'a exprimé de manière plus concise ce qui se joue dans ce siècle. Encore cet aphorisme date-t-il de l'époque où tout cela ne faisait que commencer.



Jamais ce ne fut et déjà cela disparaît.

Le néant s'adonnant au néant

Combien ont-ils été ceux qui ont tenté de dire la douleur douloureusement. Pendant toutes ces années. Combien vainement.





Si vous voulez vous adonner au tchèque, certains textes et poèmes de Zábrana sont en ligne, ici. Quelques photographies aussi, dont celle ci-dessous, datant de 1965 et prise en compagnie d'Allen Ginsberg qui venait, je crois, de se faire virer de Cuba et n'allait pas non plus faire de vieux os en Tchécoslovaquie ! Zábrana appréciait la poésie de Ginsberg qu'il a traduite sans toutefois se faire trop d'illusions sur la compréhension qu'un américain pouvait avoir de la vie dans la Tchécoslovaquie des années 60.