vendredi 26 mars 2010

Crash -- David Cronenberg


L'association Ecrans 29 organisait il y a plus d'un mois (27 et 28 Février dernier) son week-end d'analyse filmique ; après Crozon et Shyamalan l'an dernier, direction Brest et Cronenberg : trois films au programme, La Mouche, Faux semblants et Crash et l'éclairage plein d'à propos et d'un enthousiasme communicatif du critique Jean Baptiste Thoret (Cahiers du cinéma, Charlie hebdo, France Culture). Et de l'enthousiasme, il faut effectivement en communiquer pour vous convaincre de faire cent kilomètres pour voir Crash un dimanche matin à neuf heures !

L'an prochain, ce sera Quimper, je crois.

C'est parce que tout circule que rien n'arrive. Ressaisir le réel, faire surgir l'événement exige l'arrêt de cette circulation ; cet arrêt, c'est l'accident. Avant d'être adapté par Cronenberg, Crash est d'abord un roman de Ballard dont la thématique avait été très clairement mise à nu par Baudrillard dans un texte initialement paru dans la revue Science Fiction (une version anglaise publiée dans Science Fiction Studies est disponible en ligne ici ; voir aussi ici) et repris dans Simulacres et simulation.

L'adaptation de Cronenberg représente un tournant dans son travail tout en passant en revue tout l'attirail "cronenbergien" (la plaie, ou plus généralement l'inscription d'une marque dans le corps ; les ambiances froides et métalliques ; la frontalité du cadre) : la figure du "monstre" qui polarise tous ses films, qui focalise l'attention sur une mutation en cours de notre monde, cette figure disparaît, ou plutôt, elle se dilue. La focalisation cesse, le monstre est partout, la mutation est partout : c'est l'ensemble de la "réalité" du monde qui a muté, est devenue simulacre et l'ambition de Cronenberg, c'est de filmer cela. Circulation automobile, circulation des corps, circulation des affects, le film réussit à installer cette impression de monotonie inquiétante : il "se passe" des choses et pourtant rien n'arrive. Ce n'est pas le moindre mérite de ce film que de parvenir à reconstruire ce que l'écriture clinique de Ballard rend si clairement.

On pourra ensuite discuter de ce que Cronenberg décide ou non de filmer ; j'aurais préféré plus d'équilibre entre la circulation des objets et celle des corps ; au demeurant, les deux scènes homosexuelles sont parfaitement ratées : à croire que Cronenberg pense qu'il en a assez fait en terme de transgression en "évoquant" le sujet avec une pudibonderie assez ridicule tandis que les scènes hétérosexuelles sont traitées en plein écran, de façon cliniquement explicite.

Sans surprise, la figure du monstre donnait lieu aux meilleures scènes de précédents films : "J'aurais voulu être le premier insecte politique" dans La Mouche, par exemple, ou la scène finale de Faux semblants ou de The Brood ; des scènes où quelque chose perce sous la figure imposée du "genre". Dans Crash, Cronenberg se perd un peu dans le ressassement tant il est difficile de maintenir cette tension autour d'un "... et rien n'arrive" qui constitue à proprement parler le monstre du film.




Il parvient toutefois à créer une scène prodigieuse, où les protagonistes croisent (dans tous les sens du terme) une scène d'accident (donc d'une émergence potentielle de réalité), s'y mêlent et finalement "passent à travers" : même là, rien n'arrive ; la réalité est déjà retournée en son simulacre et l'accident devient une scène où l'on prend des photos, comme des touristes. Cette scène hypnotique, à la fois hyper-réaliste et totalement vide de réalité (ainsi, voir l'illustration ci-dessus, les éclairages des sauveteurs transforment la scène en plateau de cinéma), qui donne l'impression d'être tournée en léger ralenti, justifie à elle seule l'ensemble du film.

Quand l' "événement pour les autres" n'est plus qu'un "spectacle" pour moi (et sur ce sujet, on pourrait élargir le champ bien au-delà de Crash), que reste-t-il pour ressaisir un lambeau du réel ? Même se rendre acteur de sa propre mort achoppe sur l'ambiguïté du mot "acteur". Ultime étape d'une mutation que suggèrerait l'énigmatique image finale du film ?


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