mardi 30 mars 2010

How will our solo echo -- Andreï Solov'ev


Essay on New Jazz

Pour ceux que l'histoire de la scène russe, et ici essentiellement moscovite, intéresse !


Et sur le même site, des articles de Letov, Makarov, Borisov ; partiel, partial, souvent drôle et parfois en plein dans le mille comme ce paragraphe de Letov qui remet à sa juste proportion la place laissée chez nous à la culture vivante (et encore était-ce avant que la municipalité de Montreuil ne décide de rogner si cela était possible sur son budget culture !):

There is no place in the super-hyper-modern European Paris for a “new-wave” music club. It means that non-pop musicians coming to Paris, just like the locals, have no place to play music. They have to take a train to Mauntereuy (*), which is like going from Moscow to Noginsk or Elektrostal. There in Mauntereuy they have weekly concerts or something. And there are several clubs of the type in Moscow! “Dom”, “o.g.i. project”, “Pirogi”, “Mukha”, “klubnabrestskoi”...


(*) Pas de panique, une rétroversion vers le russe vous convaincra qu'il faut lire Montreuil à la place de l'exotique Mauntereuy ! Notons qu'Elektrostal est à une bonne cinquantaine de bornes du centre de Moscou ... comme quoi, la vélocité de la ligne 9 du métropolitain n'a pas vraiment impressionné Letov ! Noginsk, itou mais, dans les deux cas, Letov ne perd pas le nord et l'essentiel est sauf : c'est bien vers l'est qu'il faut aller.




En passant, Le Dépeupleur (aka Zbigniew Karkowski et Kasper Toeplitz) sera aux Instants Chavirés samedi prochain, à Mauntereuy !



Tea opera -- Sainkho Namchylak et Dickson Dee


Une perle de plus dans la discographie de Sainkho Namchylak, cette fois en duo avec Dickson Dee. Un duo de plus après ceux de Letters (tout particulièrement le duo avec Joëlle Léandre qui fait irrésistiblement penser au dialogue de deux sorcières penchées sur leurs mystérieux chaudrons bouillants !), Amulet (Ned Rothenberg), In trance (Jarrod Cagwin), Tuva-Irish live music (Roy Carroll). Des collaborations en forme de tout terrain musical !

A découvrir sur Leo Records pour environ 5€ le disque (en téléchargement).

Et pour se convaincre que ce parcours qui unit la tradition la plus ancienne aux sonorités et aux pratiques les plus récentes n'est pas une curiosité esthétique mais converge vers un vrai point focal de la musique contemporaine, on peut aussi écouter les fabuleux Canti di Capricorno (deux chants, ici) de Giacinto Scelsi, chez Wergo, interprétés par Michiko Hirayama (quelques chants aussi sur son site).

Sans oublier Shaman, enregistré en 1982 par Tran Quang Haï (le détour par la section "Music" de son site s'impose) et Misha Lobko (Didjeridou records dit ma pochette, DJD01 ... pas sûr que cela ait été ré-édité ailleurs).


vendredi 26 mars 2010

Lampa -- Roman Polański


Court métrage réalisé en dernière année de l'École de cinéma de Łódź (1959).

On peut penser à Bellmer, bien sûr, mais c'est sans doute d'une toute autre chose dont il est question ...

Crash -- David Cronenberg


L'association Ecrans 29 organisait il y a plus d'un mois (27 et 28 Février dernier) son week-end d'analyse filmique ; après Crozon et Shyamalan l'an dernier, direction Brest et Cronenberg : trois films au programme, La Mouche, Faux semblants et Crash et l'éclairage plein d'à propos et d'un enthousiasme communicatif du critique Jean Baptiste Thoret (Cahiers du cinéma, Charlie hebdo, France Culture). Et de l'enthousiasme, il faut effectivement en communiquer pour vous convaincre de faire cent kilomètres pour voir Crash un dimanche matin à neuf heures !

L'an prochain, ce sera Quimper, je crois.

C'est parce que tout circule que rien n'arrive. Ressaisir le réel, faire surgir l'événement exige l'arrêt de cette circulation ; cet arrêt, c'est l'accident. Avant d'être adapté par Cronenberg, Crash est d'abord un roman de Ballard dont la thématique avait été très clairement mise à nu par Baudrillard dans un texte initialement paru dans la revue Science Fiction (une version anglaise publiée dans Science Fiction Studies est disponible en ligne ici ; voir aussi ici) et repris dans Simulacres et simulation.

L'adaptation de Cronenberg représente un tournant dans son travail tout en passant en revue tout l'attirail "cronenbergien" (la plaie, ou plus généralement l'inscription d'une marque dans le corps ; les ambiances froides et métalliques ; la frontalité du cadre) : la figure du "monstre" qui polarise tous ses films, qui focalise l'attention sur une mutation en cours de notre monde, cette figure disparaît, ou plutôt, elle se dilue. La focalisation cesse, le monstre est partout, la mutation est partout : c'est l'ensemble de la "réalité" du monde qui a muté, est devenue simulacre et l'ambition de Cronenberg, c'est de filmer cela. Circulation automobile, circulation des corps, circulation des affects, le film réussit à installer cette impression de monotonie inquiétante : il "se passe" des choses et pourtant rien n'arrive. Ce n'est pas le moindre mérite de ce film que de parvenir à reconstruire ce que l'écriture clinique de Ballard rend si clairement.

On pourra ensuite discuter de ce que Cronenberg décide ou non de filmer ; j'aurais préféré plus d'équilibre entre la circulation des objets et celle des corps ; au demeurant, les deux scènes homosexuelles sont parfaitement ratées : à croire que Cronenberg pense qu'il en a assez fait en terme de transgression en "évoquant" le sujet avec une pudibonderie assez ridicule tandis que les scènes hétérosexuelles sont traitées en plein écran, de façon cliniquement explicite.

Sans surprise, la figure du monstre donnait lieu aux meilleures scènes de précédents films : "J'aurais voulu être le premier insecte politique" dans La Mouche, par exemple, ou la scène finale de Faux semblants ou de The Brood ; des scènes où quelque chose perce sous la figure imposée du "genre". Dans Crash, Cronenberg se perd un peu dans le ressassement tant il est difficile de maintenir cette tension autour d'un "... et rien n'arrive" qui constitue à proprement parler le monstre du film.




Il parvient toutefois à créer une scène prodigieuse, où les protagonistes croisent (dans tous les sens du terme) une scène d'accident (donc d'une émergence potentielle de réalité), s'y mêlent et finalement "passent à travers" : même là, rien n'arrive ; la réalité est déjà retournée en son simulacre et l'accident devient une scène où l'on prend des photos, comme des touristes. Cette scène hypnotique, à la fois hyper-réaliste et totalement vide de réalité (ainsi, voir l'illustration ci-dessus, les éclairages des sauveteurs transforment la scène en plateau de cinéma), qui donne l'impression d'être tournée en léger ralenti, justifie à elle seule l'ensemble du film.

Quand l' "événement pour les autres" n'est plus qu'un "spectacle" pour moi (et sur ce sujet, on pourrait élargir le champ bien au-delà de Crash), que reste-t-il pour ressaisir un lambeau du réel ? Même se rendre acteur de sa propre mort achoppe sur l'ambiguïté du mot "acteur". Ultime étape d'une mutation que suggèrerait l'énigmatique image finale du film ?


dimanche 21 mars 2010

Chiyo-ni



Comme il peut être frustrant de lire en traduction des œuvres dont on ne maîtrise pas la langue !

Petit exemple avec Chiyo-ni :


Beni saita kuchi mo wasururu shimuzu kana


le rouge à lèvres

ma bouche a oublié
ah! l'eau de la source

(Hervé Collet et Cheng Win Fun,
Bonzesse au jardin nu, Moundarren 2005
Le nom bouddhiste de Chiyo-ni était soen, jardin nu.
Elle aurait composé ce poème à son entrée au couvent.)


Je bois à la source
oubliant que je porte
du rouge à lèvres.

(Dominique Chipot et Makoto Kommoku,
Du rouge aux lèvres, Points 2010)

The dew of the rouge-flower,
When it is spilled

Is simply water.


(R. H. Blyth
Haiku, Hokuseido Press)

samedi 20 mars 2010

Du rouge aux lèvres -- Haïjins japonaises


Haïkus au féminin, traduits et présentés par Dominique Chipot et Makoto Kemmoku (Points ; 2010).

On connaît les grandes classiques Chigetsu Kawaï

Un vent sec et froid
sans couleurs à souffler
sans feuilles à disperser

ou Chiyo-ni (voir en particulier Bonzesse au jardin nu, Moundarren 2005)

L'eau les dessine,
puis l'eau les efface,
les iris.


Cette anthologie permet de découvrir les voix de contemporaines :

L'impression d'être
poussée par derrière ...
Chant des cigales d'automne.
(Kanajo Hasegawa)

Hortensias.
La lettre arrivée hier,
Déjà vieille.
(Takako Hashimoto)

Un escargot est mort.
Beaucoup de rêves
ne sont pas dénoués.
(Takajo Mitsuhashi)

Je ne naîtrai jamais
à nouveau dans ce monde.
Voie lactée, l'hiver.
(Ayako Hosomi)

Je comprends
qu'une fleur tombe,
en tombant malade.
(Toshiko Tonomura)

Roses d'hiver ...
Dans mes paumes,
tout mon destin.
(Setsuko Nozawa)

Il neige ...
Je crois discerner des rides noires
au fond de l'eau.
(Nanako Wasitani)

Épais brouillard --
Je me couche en embrassant mon sein,
ôté demain.
(Mariko Koga)

Pelant un kaki,
je continue d'approcher le canif
de mon corps.
(Kazué Asakura)

Douce journée.
Un de nous deux
sera seul un jour.
(Momoko Kuroda)

Nuit de fleurs de cerisier :
un petit peu de mensonge
dans la réponse.
(Madoka Mayuzumi)


L'idée de cette anthologie au féminin m'a paru étrange de prime abord tant la question du genre me semblait étrangère au haïku ; pourtant, et la lecture de ces poèmes le confirme, si le haïku n'a pas de sexe, il pourrait bien avoir un genre : ce qui frappe à la lecture, et qu'on ne retrouve pas dans les anthologies "habituelles", fussent-elles mixtes (Haïku-Anthologie du poème court japonais, traduit et présenté par Corrine Atlan et Zéno Bianu, Poésie/Gallimard 2002, par exemple, qui ne compte, et c'est inévitable pour une anthologie qui démarre au XVème siècle, qu'une quinzaine de femmes sur environ cent cinquante auteurs), c'est l'atmosphère douce-amère qui y règne, atmosphère que les auteures choisissent délibérément de laisser planer dans leurs poèmes, là où la tradition ("masculine", forcément masculine ...) choisit souvent le camouflage, que ce soit par l'ironie et la pirouette ou par la sublimation et l'allusion aux "Classiques" ou à l'illumination.




The day the world turned dayglo -- X-ray spex


I clambered over mounds and mounds
Of polystyrene foam
And fell into a swimming pool
Filled with fairy snow
And watched the world turn dayglo
you know you know
The world turned dayglo you know

I wrenched the nylon curtains back
As far as they would go
And peered through perspex window panes
At the acrylic road

I drove my polypropylene
Car on wheels of sponge
Then pulled into a wimpy bar
To have a rubber bun

The X-rays were penetrating
Through the latex breeze
Synthetic fibre see-thru leaves
Then I fell from the rayon trees


(Poly Styrene ; 1978, sur l'album Germ-free adolescents)


Foliage dayglo
Simon Howden


Le jour où le monde devint fluo


J'ai grimpé des tas et des tas

En mousse de polystyrène
Et je suis tombée dans une piscine
Pleine de neige féérique
Et j'ai vu le monde devenir fluo
vous savez vous savez
Le monde devint fluo vous savez

J'ai arraché les rideaux en nylon
Aussi loin que possible
Et à travers les vitres de plexiglas j'ai regardé
La route acrylique

J'ai pris ma voiture en polypropylène
Sur ses roues d'éponge
Et je me suis arrêtée chez Wimpy
Pour une brioche en caoutchouc

A travers la brise de latex
Les rayons X transperçaient

Les feuilles transparentes en fibres synthétiques
Puis je suis tombée de l'arbre en rayonne


Nouvelles de l'étranger -- Sophie Thouvenin


Simon a 60 ans, il est anglais. Il porte une casquette et des vêtements usés. Il est ébéniste. Il a installé son atelier dans un des bâtiments d'un corps de ferme en Bretagne. A quelques pas de là habite Yffic, un breton de 75 ans, vêtu de vêtements aussi usés que ceux de Simon. Dans ce paysage de no man's land, ce quotidien sans femme, les deux hommes s'accompagnent mutuellement. Partageant activités, silences et contemplations, ils conversent dans un français approximatif. On ne les comprend pas toujours, ils ne se comprennent pas souvent : leur complicité se tisse au-delà des mots...

Tourné à Plourin-les-Morlaix ; une projection à Morlaix (La Salamandre) cet après-midi en présence de la réalisatrice.

Si, par extraordinaire, vous voyez ce documentaire passer par chez vous, n'hésitez pas !

vendredi 19 mars 2010

Wojciech Bobowski ...


... alias Ali Ufki Beg, qui ça ?





On pourra entendre quelques pièces que le plus ottoman des Polonais nous a transmises le 10 Avril prochain, par l'ensemble Bezmara, dans le cadre du Festival de l'Imaginaire.

mercredi 17 mars 2010

Joe McPhee et Chris Corsano ...


... étaient en concert hier, 16 Mars, aux Instants Chavirés. Public fourni ; ceux qui ne sont pas venus ont raté une belle soirée.

Alto, soprano, trompette (mais pas de ténor, cette fois) pour un parcours qui, entre autres, revisite Old Eyes (dédié à Ornette Coleman), Voices (pour Raymond Boni) et se conclut par une évocation de Daunik Lazro. Trente ans d'improvisation à vol d'oiseau ...

Né en 1975, Chris Corsano ne rêvait sans doute même pas de percussions quand Joe McPhee gravait pour Hat Hut "Old Eyes and Mysteries" avec sa "légion européenne" (plus Milo Fine et Steve Gnitka ; 1979, de mémoire ?).
Mon impression sur son jeu reste mitigée : d'ordinaire, j'apprécie assez peu les batteurs qui installent une série d'objets sur leurs caisses (ici, des bols de métal, un classique, pour le meilleur, ou quelques couteaux, pour le pire) ; le capharnaüm joyeux d'un Gérard Siracusa me renvoie aux ravissements de l'enfance, l' "atelier" de percussions d'un Pierre Favre m'impressionne par sa sévérité et la pureté des sons qui en sortent mais les batteries "préparées" m'ennuient par leur côté péniblement approximatif et le sommet est atteint avec la sempiternelle apparition d'un malheureux archet sensé faire siffler une cymbale à force d'huile de coude. J'ai aussi plutôt tendance à préférer les batteurs "économes" (Dennis Charles ... si le nom ne vous dit rien, essayez de trouver Bangception, Hat MUSICS 3512, duo avec Billy Bang enregistré en 1982 à Willisau ! ), sans que ce soit une règle bien assurée : j'adore Sunny Murray dont le moins qu'on puisse dire est qu'il ne travaille pas vraiment dans l'épure !
Tout cela aurait du me rendre le jeu de Corsano plutôt antipathique, et ce fut effectivement le cas par instants, mais la qualité de son écoute est impressionnante et permet de faire passer au second plan tout ce qui précède. Un batteur virtuose, au style bien trop éloigné de mes gouts pour que je puisse réellement l'apprécier mais qui, par sa qualité d'écoute, ne m'a jamais gâché le plaisir d'entendre Joe McPhee. C'est aussi une sorte de compliment.



dimanche 14 mars 2010

Territoires chamaniques - Premiers temps, espaces premiers -- Kenneth White


Quarante-trois ans après En toute candeur, on retrouve Kenneth White avec ce recueil consacré principalement à des versions de poèmes issus d'études ethnographiques.

***

Des plumes blanches
des plumes blanches et duveteuses
volent, volent
devant le lever du soleil
à l'orée du monde.

***

La neige tombe
et personne ne passe
sur le chemin
ne suis-je pas
ce chemin sans traces ?

***

Racine de la terre
grande racine de la terre
je te donne
les paroles d'un chant :
le blanc vient, le blanc gagne
les noirs piliers du monde.

***

Ah ! petit merle noir
comme tu es heureux
là dans le buisson
ermite sans cloche.

***

Publié aux éditions Héros-Limite, 2007, traduction de Marie-Claude White
.

samedi 13 mars 2010

En toute candeur -- Kenneth White


Sa première traduction française, parue en 1964 au Mercure de France ; traduction de Pierre Leyris.

Tout Kenneth White est déjà là ; un peu plus que Kenneth White, même, me semble-t-il, tant l'indignation sociale qui sourd ici de certaines pages s'est estompée au fil du temps. Non que Kenneth White se soit fait une raison, non, bien sûr ; simplement, il s'est éloigné, toujours plus au Nord, toujours plus profond dans la blancheur, dans la candeur.

"La sorte d'art vers laquelle je vais, que par endroit j'ai réalisée peut-être, est un art qui serait abstrait et naturaliste en même temps. Le retour fréquent du mot "blancheur" est peut-être l'expression de ce désir."



Snowdust


Snow
sawdust of ancient forests
branches that held
the hopes of my wandering
now no more
point to the distant shore
where the sun
awaited my advent

now all the paths are hid
and what was beyond is dead

there is only the presence
of me
falling
sawdust
snow



Zhang Defeng


Sciure de neige


Neige
Sciure
D'anciennes forêts jetées bas
Les branches qui naguère
Portaient l'espoir de mon vagabondage
Ne désignent plus
Le lointain rivage
Où le soleil
Attendait que j'advienne

Tous les sentiers sont recouverts
Et ce qui était par delà est mort

Plus rien
Hors moi
Qui tombe
Sciure
Neige



La dernière strophe sonne plus encore "Kenneth White" en traduction française que l'original ! Seule réserve, pourquoi donc ces encombrantes majuscules ?



Open letter


Is there a cherry tree burning
outside your door burning
burning the door down burning
melting the glass in yor windows
tell me is there

Is there a silence screaming
over your tongue screaming
screaming your words down screaming
crying in the wilderness
tell me is there

Oh dark bird in the blue-falling night
and the red hmmer of my blood

Tell me be with me
tell me is there
the cherry tree burning
the silence screaming

Oh tell me tell me



Cy Twombly
Proteus


Lettre ouverte



Y a-t-il un cerisier qui brûle
Qui brûle à ta porte, qui brûle
Et consume ta porte, qui brûle
Et fond la vitre à la fenêtre
Dis, qu'en est-il

Y a-t-il un silence qui hurle
Qui hurle sur ta langue, qui hurle
Et couvre tes paroles, qui hurle
Et va criant dans le désert
Dis, qu'en est-il

O sombre oiseau perdu dans la chute bleue du soir
Et le rouge marteau de mon sang

Dis-moi, sois avec moi
Dis-moi, y a-t-il
Le cerisier qui brûle
Le silence qui hurle

Oh dis-moi dis-moi


vendredi 12 mars 2010

Walter Benjamin -- Howard Caygill, Alex Coles, Richard Appignanesi, illustrations de Andrzej Klimowski


Walter Benjamin est un penseur irritant : original, profond mais finalement insaisissable. L'inachèvement n'y est sans doute pas pour rien mais il y a plus, comme un système mystérieux, derrière cette pensée en perpétuel déplacement, jetant des passerelles entre coqs et ânes, "connecting dots" pour faire émerger un croquis saisissant qui restera à l'état d'ébauche car d'autres scintillements, un peu plus loin, réclament son attention.

D'ailleurs, demandez à dix personnes ce qu'elles préfèrent chez Benjamin, je parie que vous obtiendrez dix réponses différentes, et toutes exactes, et toutes atrocement partielles. Tenez, moi, c'est le fragment "Le capitalisme comme religion" mais ce n'est pas le sujet.

Sur Benjamin, on pouvait lire au moins quatre livres introductifs "indispensables", celui de Theodor Adorno (Sur Walter Benjamin, Folio), le court texte d'Hannah Arendt (Walter Benjamin 1892-1940, chez Alia) et ceux de Gershom Scholem .(Walter Benjamin, histoire d'une amitié, Calmann-Lévy et Benjamin et son ange, chez Rivages tout particulièrement) ... au risque de se laisser intimider par ces monstres et de les suivre trop docilement sur leurs terrains respectifs, de ne voir que de leurs points de vue.

L'immense mérite du livre de Caygill, Coles, Appignanesi et Klimowski (pour les illustrations), c'est d'abaisser à zéro le niveau d'intimidation : Benjamin en bande dessinée ! Grotesque ? Hé bien, non. Pas du tout. Le livre suit la biographie de Benjamin au rythme de quelques lignes (une dizaine, pas plus) et d'une illustration par page. La présentation des idées et des œuvres, nécessairement très brève, s'appuie sur la citation et tient du tour de force ; au final, la forme choisie rend compte à merveille du foisonnement et des télescopages de cette pensée.



Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.

Une excellente introduction, de celles qui vous portent vers les oeuvres.

Publié chez Rivages poche (numéro 666, cela ne s'invente pas !).

Les places et les chances - Repenser la justice sociale -- François Dubet


Quand le monde marche sur la tête, il faut saluer ceux qui prennent encore la peine d'argumenter avec clarté pour qu'il retourne sur ses pieds. C'est le cas de François Dubet, dans ce petit livre qui vient de paraître au Seuil-La République des Idées.


Il existe aujourd'hui deux grandes conceptions de la justice sociale : l'égalité des places et l'égalité des chances. Leur ambition est identique : elles cherchent toutes les deux à réduire la tension fondamentale, dans les sociétés démocratiques, entre l'affirmation de l'égalité de tous les individus et les inégalités sociales issues des traditions et de la concurrence des intérêts à l'œuvre. Dans les deux cas, il s'agit de réduire certaines inégalités, afin de les rendre sinon justes, du moins acceptables. Et pourtant, ces deux conceptions diffèrent profondément et s'affrontent, bien que cet antagonisme soit souvent masqué par la générosité des principes qui les inspirent et par l'imprécision du vocabulaire qui les porte.
La première conception est centrée sur les places qui organisent la structure sociale, c'est-à-dire sur l'ensemble des positions occupées par les individus, que ceux-ci soient des femmes ou des hommes, des gens cultivés ou moins cultivés, des Blancs ou des Noirs, des jeunes ou des personnes âgées, etc. Cette représentation de la justice sociale vise à réduire les inégalités de revenus, de conditions de vie, d'accès aux services, de sécurité, qui sont associées aux différentes positions sociales occupées par des individus fort dissemblables en terme de qualification, d'âge, de talent, etc. L'égalité des places cherche donc à resserrer la structure des positions sociales, sans faire de la mobilité des individus une priorité. Pour le dire en un mot, il s'agit moins de promettre aux enfants d'ouvriers qu'ils auront autant de chances de devenir cadres que les enfants de cadres eux-mêmes, que de réduire l'écart des conditions entre les ouvriers et les cadres. (...).
La seconde conception de la justice, majoritaire aujourd'hui, est centrée sur l'égalité des chances : elle consiste à offrir à tous la possibilité d'occuper les meilleures places en fonction d'un principe méritocratique. Elle vise moins à réduire l'inégalité entre les différentes positions sociales qu'à lutter contre les discriminations qui perturberaient une compétition au terme de la quelle des individus égaux au départ occuperaient des places hiérarchisées. Dans ce cas, les inégalités sont justes puisque toutes les places sont ouvertes à tous. (...). Ici, l'idéal est celui d'une société dans laquelle chaque génération devrait être redistribuée équitablement dans toutes les positions sociales en fonction des projets et des mérites de chacun. (...).
Ces deux conceptions de la justice sociale sont excellentes : il y a toutes les raisons pour que nous souhaitions vivre dans une société qui soit relativement égalitaire et relativement méritocratique. (...).
Pourtant, le fait que nous voulions à la fois l'égalité des places et l'égalité des chances ne nous dispense pas de choisir un ordre de priorité.

(...

Le livre est concis mais fait une centaine de pages, tout de même !


Il est composé de cinq chapitres qui font successivement le procès de l'égalité des places puis celui de l'égalité des chances avant de conclure. Les deux modes d'égalité sont envisagés successivement sous l'angle des valeurs qui les sous-tendent puis sous l'angle de la structure sociale qu'ils engendrent.


...)


Dès que nous nous considérons comme fondamentalement libres et égaux, l'égalité des places n'a aucune supériorité normative ou philosophique sur l'égalité des chances. Dans l'horizon d'un monde parfaitement juste, il n'y aurait même aucune raison de distinguer ces deux modèles de justice. Mais, dans le monde tel qu'il est, la priorité donnée à l'égalité des places vient de ce qu'elle provoque moins d' "effets pervers" que sa concurrente et, surtout, qu'elle est la condition préalable à une égalité des chances plus aboutie. L'égalité des places accroît plus l'égalité des chances que bien des politiques visant directement cet objectif. Il faut défendre l'idée d'un "égalitarisme soutenable", de la plus grande égalité possible tant qu'elle reste fonctionnelle et qu'elle laisse place au mérite et aux chances, lesquelles demeurent une véritable exigence. L'égalité des places peut aussi être défendue au nom de la liberté personnelle si l'on conçoit le libéralisme comme le développement de l'autonomie individuelle. La redistribution n'est pas une politique vaine ou condamnée, dès lors que l'État-providence s'y prend mieux et choisit de resserrer l'espace des places plutôt que de protéger ceux qui en ont déjà une. En bref, il s'agit là d'un projet radicalement réformiste.
L'égalité des places me semble donc être un projet plus solide et plus généreux que l'égalité des chances. Elle est plus solide parce qu'elle induit un contrat social plus ouvert -- à condition d'y voir plus clair dans les politiques de revenus, de protections et de transferts sociaux. Les chances visent toujours à dire, à la fin, que l'on ne doit rien aux autres et que l'on est libre de toute dette. On oublie trop souvent que les chances individuelles bénéficient des investissements collectifs. La réussite de quelques-uns n'aurait pas été possible sans le capital collectif des équipements, de la culture et des institutions qui leur ont permis de faire fructifier leurs talents. La justice des places est plus généreuse parce qu'elle ne permet pas d'oublier ce que l'on doit aux autres ; elle rappelle que la production des vainqueurs n'exige pas le sacrifice des vaincus.


"Rompre le lien entre reconnaissance et rétribution" (Nancy Fraser ; voir, par exemple, sa contribution dans Pensées critiques-Dix itinéraires de la revue Mouvements 1998-2008 à La Découverte), "séparer les sphères de justice" (Michael Walzer), voila ce que permet le choix de l'égalité des places alors que l'égalité des chances conduit, dans une situation d'inégalité initiale trop importante des places, à la mise en œuvre d'une superposition illisible de dispositifs liant ces aspects, dispositifs qui ne bénéficient finalement qu'à ceux qui ont dès le départ et du fait de la place qu'ils occupent, la capacité d'en profiter. Voila l'enseignement que l'on retire de ce livre clairement argumenté ; de quoi éviter de lâcher la proie pour l'ombre, de se laisser hypnotiser par ces fluctuations que sont les réussites individuelles médiatisées (ha, trader, quel beau métier !) au détriment de l'analyse globale du système

On pourra ensuite s'associer ou non à certains autres aspects, secondaires, du livre et, en premier lieu, l'accent mis (maladroitement ?) sur la différence entre ceux qui ont jouissent d'une place (entendre ici un emploi) et ceux qui n'en jouissent pas. Non que cette différence soit mineure et qu'il faille se satisfaire de l'absence de représentation des chômeurs que le centrage de la vie publique sur l'emploi persiste à organiser mais on dirait que pour l'auteur, la question des autres différences entre les places (en gros, les différences entre ceux qui jouissent d'une place, plus ou moins bonne), et particulièrement celle de l'éclatement de l'échelle des revenus, pourrait être résolue par une "simple" politique de redistribution.

On peut rester sceptique sur ce point : l'éclatement sans précédent de l'échelle des revenus a amorcé une véritable mutation des comportements qui le nourrit en retour, ce que j'ai appelé la "transition néo-libérale". Resserrer la distribution des places (en y intégrant ,bien sûr, la place des "sans place") exigera d'aller bien au-delà de la simple redistribution : choisir de ne pas faire jouer à son avantage les différences qui nous distinguent des autres, simplement pour ne pas nourrir mécaniquement le processus de sériation global ... il faudrait commencer par là.
Dans des temps révolus où la répartition des revenus était bien moins étendue (sans être resserrée pour autant ; finalement, c'est peut être moins l'étendue de la distribution que sa continuité qu'il faudrait interroger), où votre semblable n'était pas votre concurrent mais une présence fraternelle et une assurance de soutien, on appelait cela solidarité, je crois.

Choisir de ne pas activer à son seul profit ses "avantages compétitifs" ... ou nourrir l'ordre existant et s'en satisfaire. Appelons cela"diverger" par rapport à la logique ambiante.


Un autre compte-rendu plus centré sur le rôle du système éducatif.




mardi 9 mars 2010

Świat sen -- Krzysztof Kamil Baczyński (1921-1944)


Smutny,jaki smutny człowiek uśpiony w zdarzeniach,

w zdarzeniach prawdziwych.
Jakbyś kreślił kółko na piasku, a w dębów cienie

jak w rzeczywiste zamki kolorowe powprawiał szyby.

Tak sobie nieroztropnie – niby przypominasz

dziecięce twierdze z piasku.

Uwierzyć łatwo : żyjesz tam,

a teraz śnisz tylko
oślepiający sen piorunów,krzywdy i blasku.

Jakże spokojnie,

..........choć upłynął dwudziesty rok,

nie wierzyć w rzeki ognia, przez wiatr unoszonych ludzi,

tonąc po brzegi spojrzenia w rzeczywistość.


Ale ja się obudzę, ale ja się obudzę.


luty 41 r.



Jūratė Mykolaitytė
Babelio bokštas II
1996



Monde rêvé

Triste, triste est l’homme endormi dans les événements,

événements vrais.

Comme dessiner un cercle sur le sable,

comme poser des vitres dans l’ombre des chênes,

dans de vrais châteaux de couleur.


Tu te souviens, comme ça – sans y penser –

des forteresses enfantines de sable.

Facile de croire : tu vis là-bas

et maintenant, tu ne fais que rêver,
un songe éblouissant de foudres, de mal, d’éclat.


C’est si bien,
même si une vingtaine d’années se sont écoulées,

si bien de ne plus croire aux fleuves de feu, aux hommes emportés

par le vent,

et sombrer jusqu’aux bords du regard dans la réalité.

Mais je me réveillerai, je me réveillerai.


Février 1941

(in Testament de feu,
Arfuyen,
bilingue polonais-français,
traduit par Christophe Jezewski et Claude-Henry du Bord)

lundi 8 mars 2010

There is a God and he is pissed


Cette étonnante critique de A serious man des frères Coen me donne l'occasion de signaler cet excellent blog qui me l'a fait connaître.


André Gorz et la dynamique du capitalisme -- Carlo Vercellone


Cette conférence constitue une des plus concises introductions à la pensée d'André Gorz que je connaisse ; concise et mettant remarquablement en relief l'évolution d'une pensée sur un demi-siècle :

"(...) la force de travail, l'intellectualité diffuse ne peuvent être considérées, par définition, comme un actif négociable d'une entreprise (contrairement à une machine ou à un brevet, excepté si l'on réduisait la force de travail en esclavage). L'évaluation du capital intellectuel et/ou immatériel ne peut donc être que l'expression complètement subjective de l'anticipation des profits futurs effectuée par les marchés financiers sur la base d'une logique auto-référentielle destinée inéluctablement, tôt ou tard, à éclater, "en menaçant le système mondial de crédit d'effondrement, l'économie réelle d'une dépression sévère et prolongée [...]" (*). Cette logique contribue à expliquer pourquoi la finance joue un rôle clé dans le capitalisme cognitif. Mais elle contribue aussi à expliquer pourquoi la succession de crises financières et économiques de plus en plus graves auxquelles nous assistons n'est pas le simple produit d'une mauvaise régulation de la finance. Au contraire, comme l'a souligné avec force Gorz, cette dynamique exprime "tout simplement la difficulté intrinsèque à faire fonctionner le capital intangible comme un capital, à faire fonctionner le capitalisme dit cognitif comme un capitalisme" (+). Il nous livre ainsi une interprétation qui éclaire l'origine, le sens et les enjeux de la crise économique et financière actuelle."

(*) Gorz, Ecologica p.28, éd. Galilée, Paris, 2008
(+) Gorz, L'immatériel : connaissance, valeur et capital p.55, éd. Galilée, Paris, 2003



Le texte complet de cette conférence est disponible ci-dessous :
(il vous en coûtera 5€ ... mais le texte est soigneusement édité)


Une mise en perspective utile pour aborder une des dernières contributions de Groz, Penser l'exode de la société du travail et de la marchandise, publiée en 2007 par Mouvements ; un examen critique de la notion de revenu social garanti qui reprend l'éternelle discussion des poor laws (*) à partir des difficultés d'un capitalisme "automatisé à mort" qui produit sans employer, donc sans distribuer de moyens de paiement :

(*) voir à ce sujet les travaux de T.C. Leonard, The Very Idea of Applying Economics : The Modern Minimum-Wage Controversy and Its Antecedents et More merciful and not less effective, en particulier, et La grande transformation de Karl Polanyi (Gallimard).


"Ce capitalisme qui s'automatise à mort devra chercher à se survivre par une distribution de pouvoir d'achat qui ne correspond pas à la valeur d'un travail.
(...)
Le modèle distributiste a sans doute le grand mérite de rompre avec le marché, de mettre en évidence le caractère anachronique de la forme valeur, c’est-à-dire de la forme argent, de la forme marchandises, donc du capitalisme ; mais il en conserve les apparences et, surtout, le fondement principal : la division capitaliste du travail, la division entre consommateurs et producteurs, les rapports sociaux marchands d’achat et de vente. Il s’agit là d’une forme de « capitalisme mort-vivant » dont la valorisation du capital ne peut plus être le but mais qui, en préservant formellement la forme marchandise des richesses produites et le besoin d’argent pour y accéder, préserve un aspect essentiel des rapports de domination capitalistes.

Ceux-ci subsistent dans la mesure où l’allocation d’un revenu individuel fait obstacle au développement de réseaux coopératifs d’autoproduction, à l’appropriation par des collectifs auto-organisés de moyens de production soustraits à la division capitaliste du travail et utilisables pour satisfaire une part croissante des besoins et désirs de tous. L’idée que, après son extinction, le capital doit pouvoir conserver son système de domination en conservant aux biens la forme marchandise et à leur mise à disposition la forme de la vente, cette idée chemine souterrainement depuis des décennies. Elle considère la consommation de marchandises comme un travail qui mérite d’être rémunéré en tant qu’il maintient l’« ordre marchand », l’ordre dans lequel les individus se produisent eux-mêmes tels que les puissances dominantes désirent qu’ils soient. « Les marchandises y achètent leurs consommateurs afin que ceux-ci se fassent, par l’activité de consommer, ce que la société a besoin qu’ils soient. » (*)

Les moyens sur lesquels le capitalisme avait fondé sa domination – l’argent, le marché, le rapport salarial, la division sociale du travail – lui survivent comme des formes vides. Ce n’est plus la mise en valeur de la valeur, c’est le pouvoir de dominer qui devient le but de la production."

(*) André GORZ, Les chemins du paradis p.83, éd.Galilée, 1983

dimanche 7 mars 2010

Sur mon portrait -- Yang Wan Li (1127-1206)


le vent clair me réclame un poème
la lune lumineuse m'invite à boire
ivre je m'écroule devant les fleurs
le ciel pour couverture, la terre pour oreiller

(in Le son de la pluie, Moundarren 1988, traduit par Cheng Wing fun et Hervé Collet)


fin du printemps, la nuit, assis

de douleur j'implore le ciel, mais le ciel le sait-il ?
ou bien il le sait mais il s'en moque
par hasard, je tombe sur un recueil de Po Chu Yi
m'est accordé un petit moment d'allégresse

(ibid)


me levant après la sieste

la journée est longue, comment ne pas être fatigué ?
à midi l'envie me prend de faire un petit somme
le lit en bambou est brûlant, comme chauffé par le soleil
je me retourne sans arrêt, finalement ne m'endors pas
je me lève, gratte ma tête blanche
cent fois je tourne autour de la véranda
au moment précis où je suis le plus agacé,
soudain se produit une chose étrange
le vent entre par la porte au nord
traverse et ressort par la fenêtre au sud
dehors c'est le début de la floraison des orchidées
le vent souffle leur parfum, le laisse flotter
le vieillard en est tout rafraîchi,
allègre et revigoré
les jours à venir, dans un moment semblable à celui-là,
comment savoir, le vent passer-t-il encore ?

(ibid)

samedi 6 mars 2010

Un temps imparfait -- Tamirace Fakhoury


Trois arbres solitaires
Sur une plaine condamnée à mort
Les brebis tracent leur dernier naufrage
Les bergers sauvent les lucioles noyés
Donne-moi une urne pour attraper le vide
Donne-moi un temps imparfait pour
échapper



D'autres poèmes dans le numéro 36 de La Page Blanche.

vendredi 5 mars 2010

Médée - Voix -- Christa Wolf


Sorti en 1997 en Allemagne puis en France (traduit par Alain Lance et Renate Lance-Otterbein, chez Fayard). Très différent de Cassandre tant dans la forme, plus classique, une suite de monologues des principaux protagonistes, d'où le sous-titre Voix, que dans le fond : là où Cassandre brassait des thèmes généraux (le féminisme, la guerre), la thématique de Médée se resserre intimement autour du secret, du mensonge et de la calomnie. On ne peut pas ne pas y voir une réponse de Christa Wolf aux calomnies dont elle fut l'objet après la ré-unification ; cette réponse est un chef d'œuvre.

Deux courts extraits ; la découverte du secret sur lequel repose le pouvoir de Créon dans la cité de Corinthe, histoire d'admirer aussi le style de Christa Wolf que les extraits que j'ai choisis pour Cassandre ne permettent pas vraiment d'apprécier :







Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.


et la dernière page du livre :





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Galerie Dabbah Torrejon (Buenos Aires)


Aldo Chaparro

Fabián Burgos

jeudi 4 mars 2010

Cuerda - Silvia Gurfein



Silvia Gurfein
w/t (canción para cruzar el tiempo),2003
Oil on canvas 50 x 50 cm
Private collection Buenos Aires, Argentina




Cord String Sense Rope Chord Clockwork Thread (*)


Time beholds us. Time is horizontal, like a canvas that folds and unfolds, and like water, that runs faster near the vacuum.
Time in painting beholds us, and painting is making all presents simultaneous.
And painting is a snail.
I lose time.
I go out to breathe in the melancholy evening air that speeds up blood and blurs edges, and I am a chilled breath that turns everything to crystal. And I wonder how many times I am going to polish that crystal.
I waste time.
While I walk around the lake house at the side of the mountain, time folds in my head and, at the same instant, two distant spots in my memory touch, meet; now they happen at the same time.
They happen now. I am nine and I am twelve and I am ninety and I am forty-eight and I have not yet been born.
Because, magnificent like a mountain reflected on the beautiful beautiful lake, time looks at me and all is still, waiting, and I am so small and fleeting, I am an instant, and I am going to cry and I leave you these paintings so that they might behold you and you don’t know when now is.
For now, I am going to be still and the same so that you can change, so that the rest can move. Because one part must be constant so that the whole can grow. So I inhibit variation as much as possible to remain identical.
Because I am cord and I am bone.
I bear the pressure and the mountain storm to see the diamond. And I wonder how many times I am going to polish that diamond.
I make time machines, tunnels and passageways, journeys through space, journeys through time, embracing my paintings, expulsed from my paintings.
I burn some words so that you breathe them in and they become sculptures in your mind.
And for now I see the world as a gift.
And love as a teacher.
For now I do this. I give you treasures cleaned of dirt and the way to find them:
fewer things more time.



(*) The Spanish word “cuerda” can be translated as all of these words.


mardi 2 mars 2010

Burning in water Drowning in flame -- Charles Bukowski (1920-1994)


Deux extraits de ce recueil de la période 1955-1973



fuzz

3 little boys run toward me
blowing whistles
and they scream
you're under arrest !
you're drunk !
and they begin
hitting me on the legs with
their toy clubs.
one even has a
badge. another has
handcuffs but my hands are too high in the air.



when I go into the liquor store
they whirl around outside
like bees
shut out of their nest.
I buy a fifth of cheap
whiskey
and
3
candy bars.







palm leaves

at exactly 12:00 midnight
1973-74
Los Angeles
it began to rain on the
palm leaves outside my window
the horns and firecrackers
went off
and it thundered

I'd gone to bed at 9 p.m.
turned out the lights
pulled up the covers --
their gaiety, their happiness,
their screams, their paper hats,
their automobiles, their women,
their amateur drunks . . .

New Year's Eve always terrifies
me

life knows nothing of years



now the horns have stopped and
the firecrackers and the thunder . . .
it's all over in five minutes . . .
all I hear is the rain
on the palm leaves,
and I think,
I will never understand men,
but I have lived
it through.





Et en prime, celui-ci, nettement plus court que le titre du recueil qu'il clôt (Play the piano drunk like a percussion instrument till the fingers begin to bleed a bit, publié en 1982)



art


as the
spirit
wanes
the
form
appears.



Les poèmes de Charles Bukowski sont publiés par Black Sparrow Press.

lundi 1 mars 2010

Cassandre, les prémices et le récit - Christa Wolf



Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.


Paru en 1983 en Allemagne (DDR) puis en 1985 en traduction française (Alain Lance) aux éditions Alinea. Une réflexion sur la guerre, sur le féminisme à la lumière du destin de Cassandre : "aujourd'hui, vu de Cassandre".

Et aussi un impressionnant panorama critique de la littérature allemande du XXème siècle : Mann, Jahn, Frisch, Bachmann ...

La première moitié du livre est constitué du récit de Cassandre à la première personne ; la seconde, sous la forme du journal et d'une lettre, relate l'approche de son personnage par Christa Wolf mais on pourrait tout autant parler du journal de la possession de Christa Wolf par Cassandre. Une structure qui amène nécessairement à relire la première moitié après avoir fini la lecture ; cette relecture illumine littéralement le récit initial.


Ci-dessous deux extraits qui donnent une idée de la largeur de vue que Christa Wolf déploie autour de la position de Cassandre au cours de son travail d'approche. Ce qui frappe le plus dans ce livre, c'est comment il se déploie littéralement autour de Cassandre : les éléments en apparence les plus divers trouvent leur connexion à partir de ce point central que Christa Wolf investit totalement.


De Lewis Mumford à la "nécrophilie actuelle" en passant par Jahn et Hiroshima :







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Puis cette pénétrante lecture d'Ingeborg Bachmann (ici, et ), qui clôt le livre :








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