vendredi 26 février 2010

Poètes pour Haïti


Le tableau miraculé
A Dany Laferrière

A Port-au-Prince un peintre naïf est mort
Son tableau a survécu – miracle ou hasard
Le monde est désormais un dessin inanimé
Peu importe que les arbres remuent leurs feuilles
Dans ce chaos de décombres
Nous regardons déjà ailleurs vers l’apothéose de notre volonté
Devant nous la lumière éblouit la rétine de nos songes
De ton pays balafré j’entends le piétinement d’un troupeau
La chute des fruits secs surpris par un séisme
L’aventure d’un cours d’eau détourné par la faille
L’envol des passereaux vers des cieux incertains

Mais voici que le fantôme d’un sinistré couvert de gravats
Erre avec la pierre qui est tombé du ciel sur sa tête
On dit que c’est le Seigneur qui se débarrassait des fondations de l’immensité
Qu’Il a jeté son dévolu dans ce périmètre si étroit
Qu’on appelle Haïti

Le crayon du bon Dieu n’a pas gomme
Celui de l’Homme si
Avec mon fil et mon aiguille
Je recouds les failles de la fraternité
En attendant le prochain Soleil…

Alain Mabanckou
New Delhi





Poètes pour Haïti, dont est extrait le poème ci-dessus, est un recueil de poèmes, téléchargeable en ligne contre une promesse de don, né de cet appel :

« Toute douleur qui n’aide personne est absurde ».
André Malraux

Déjà plus de 150,000 haïtiens morts, c’est le décompte macabre du jour, officiellement annoncé.
Des blessés, par centaines de milliers. Un pays au coeur des ténèbres ?
Le monde voit en direct des regards tremblants devant la béance qui s’est ouverte à Haïti.
Le monde a bougé sur son socle. L’île saccagée a fait de nous tous des humains meurtris. Oui, l’’île est nôtre.
Elle dit nos visages livrés à l’incertain de la vie.

Que peuvent les poètes ?
Certes s’émouvoir, certes se demander pourquoi tant de souffrances sur la peau d’un peuple déjà nu.
Sartre avait parlé des damnés de la terre…
Le poète pourrait poursuivre : il y a des damnés du tremblement de terre.

Que peuvent les poètes ?
Certes écrire.
Dire l’innommable. L’insondable souffrance.
Partager ce cri intérieur, l’ouvrir au monde pour qu’il soit l’acte de solidarité espéré.
Puisque l’internet nous le permet, nous passons de la douleur en mémoire, de la souffrance en espoir. Une chaîne de mots solidaires naît peu à peu…

Et debout avec les Haïtiens, nous préservons la créativité devant l’anéantissement supposé. Et nous proposons avec ce présent recueil le premier livre humanitaire en ligne. Car il n’y a pas d’écriture sans l’humain, sans ce sens fondamental de lire avec l’autre, en l’autre, d’écrire et de partager le peu de substance qui nous lie, qui nous relie au poème frissonnant du monde, le seul qui vaille : la fraternelle poésie.

Nous espérons que ce don trouvera la faille généreuse du cœur au cœur, pour que le peuple haïtien sente que les poètes les aiment, qu’ils témoignent et contribuent à la reconstruction de cette île dont nous sommes tous les enfants jetés sur les routes de la douleur et de l’espoir sans cesse recommencés.

Dana Shishmanian, Khal Torabully, anonyme,
Paris, Vaulx Village, Genève,
25 janvier 2010

mercredi 24 février 2010

The jackass theory -- Henry Rollins


Sorti en 1990 ; une facette de Rollins à retenir, à côté du chanteur de Black Flag puis du Rollins Band (faut-il aussi vraiment mentionner Henrietta Collins and the wifebeating childhaters ?).

La scène hardcore en fit des gorges chaudes sur le thème de la grosse tête de Big Bad Henry ; la critique littéraire "officielle" n'en a guère entendu parler ou fut d'une remarquable discrétion.

Pourtant :

***

AWOKEN FROM A DREAM.
HE LOOKS OUT THE WINDOW.
THREE AM.
WHAT HAPPENED
TO THE LAST TWO YEARS ?

***


Sur l'album "Lifetime" (Rollins Band ; 1987), il y avait aussi ce titre qui avait su capter exactement le sentiment d'une génération qui pouvait se retourner sur presque dix ans de rébellion brouillonne, sincère et désespérément inefficace :


WRECK-AGE

I take a look around me and it makes me mad
Another friend of mine in rehab
Try to pull himself from a plastic bag
He's callin' from the Halfway House he says he's doing fine
Says he got himself out just in time
Says his friends woulda let him turn blue and die

Someday becomes yesterday
Your life goes and crawls away
You gotta take it on the Black Train, Jack
You can't even feel the fire burnin' your back
Her boyfriend left her broken and alone
She took some pills and crawled to the death zone
Her mother found her just in time
She's strapped to a bed in psych ward doin' fine
Aww girl, what happened, what happened, what happened to you
What's goin' on? What's goin' on?

Someday becomes yesterday
Your life goes and crawls away
You're walkin' hand in hand with a death trip
You can't even feel the power in it's grip
Sometimes I wanna take you by your shoulders and shake you

You've got to open your eyes, man, how long will it take you
Runnin' through life blind, man, what a waste
Shot down and neutralized, man, what a case
What happened, what happened to you?
What's goin on? What's going on with you?

Someday becomes yesterday
Your life goes and crawls away
You've got to take it on the Black Train, Jack
You can't even feel the fire on your back

I don't wanna die in the wreckage
Don't wanna go blind in the wreckage
Don't wanna go down in the wreckage
Don't wanna get stuck in the wreckage
Sometimes it's all I can see
The wreckage is all around me
The human wreckage, the human wreckage
To you, I say goodbye, goodbye, goodbye, goodbye, goodbye,
bye-bye, bye-bye

mardi 23 février 2010

Médée -- Hans Henny Jahn (1894-1959)


Vers le milieu des années 90, les éditions José Corti ont fait connaître aux lecteurs français ce troublant écrivain allemand (*).

Une écriture baroque et violente, gonflant comme une vague, sans cesse à la recherche de son propre paroxysme. Une écriture qui se relance sans cesse par ses métaphores sexuelles, sans s'y épuiser.

Médée est la transposition par Jahn de la tragédie grecque ; transposition à la fois libre et profondément fidèle sur le fond (on peut penser à Penthésilée de Kleist à cet égard). Ci-dessous, la notice rédigée par les traducteurs Huguette et René Radrizzani.






Aux grandes transpositions mentionnées ci-dessus, j'en ajouterais volontiers deux autres, des transpositions en prose, Cassandre, les prémisses et le récit et Médée : voix (Médée, encore !) de Christa Wolf. Deux livres magnifiques (disponibles chez Stock), Médée : voix surtout, qui est mon préféré.

Ci-dessous, un court extrait du dialogue qui noue la tragédie : Jason, homme faible et jouisseur, ne sait pas résister à la provocation d'une Médée folle d'être humiliée, bannie, trompée et rompt son union avec elle, dont il sait pourtant les terribles crimes qu'elle a commis pour sauver leur amour et dont il pressent déjà la terrible vengeance.


Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.

(*) La parution de La nuit de plomb au Seuil en 1969 ne me semblait pas avoir trop marqué les esprits dans les années 90.

lundi 22 février 2010

La part maudite -- Georges Bataille


On pourrait même dire que le potlatch est la manifestation spécifique, la forme significative du luxe. Au-delà des formes archaïques, en fait le luxe a gardé la valeur fonctionnelle du potlatch, créateur de rang. Le luxe détermine encore le rang de celui qui l'étale, et il n'est pas de rang élevé qui n'exige un apparat. Mais les calculs mesquins de ceux qui jouissent du luxe sont débordés de tous côtés. A travers les malfaçons, ce qui luit dans la richesse prolonge l'éclat du soleil et appelle la passion : ce n'est pas ce qu'imaginent ceux qui l'ont réduit à la pauvreté, c'est le retour de l'immensité vivante à la vérité de l'exubérance. Cette vérité détruit ceux qui l'ont prise pour ce qu'elle n'est pas : le moins qu'on en puisse dire est que les formes présentes de la richesse décomposent et font une dérision de l'humanité ceux qui s'en croient les détenteurs. A cet égard la société actuelle est une immense contrefaçon, où cette vérité de la richesse est passée sournoisement dans la misère. Le véritable luxe et le profond potlatch de notre temps, s'entend à celui qui s'étend sur la terre et méprise. Un luxe authentique exige le mépris achevé des richesses, la sombre indifférence de qui refuse le travail et fait de sa vie, d'une part une splendeur infiniment ruinée, d'autre part une insulte silencieuse au mensonge laborieux des riches. Au-delà d'une exploitation militaire, d'une mystification religieuse et d'un détournement capitaliste, nul ne saurait désormais retrouver le sens de la richesse, ce qu'elle annonce d'explosif, de prodigue et de débordant, s'il n'était la splendeur des haillons et le sombre défi de l'indifférence. Si l'on veut, finalement, le mensonge voue l'exubérance de la vie à la révolte.


Conclusion de la deuxième section (La société de consumation) de ce livre "d'économie politique" publié par Bataille en 1949.

dimanche 21 février 2010

De fond en comble la clarté --Tristan Tzara


(...)

ma haine ne se dissipera pas avant que soit passé le fer rouge dans les rangs monstrueux de ceux qui se répandent comme des moucherons


et poursuivent de la vieillesse inhumaine le sombre accroissement des tas sur lesquels se prélassent les yeux injectés de venin le gluant ennui de leur sang les aumônes

je chante la haine pernicieuse

je pense à la tristesse qui bientôt débordera les purs réservoirs où augmente la puissance terrestre de l'homme

je pense à la décision unanime dont le sens déclenchera à la même minute dans toutes les poitrines l'incendie contenu

à l'impatience aux fleurs crispées qui joueront devant les yeux les étoiles aux promesses d'éclosion près de leurs gorges palpitantes

le bois vert ployé sous le regard

que rien ne résiste à l'homme qui a pris sur lui la souffrance des autres

elle veille et le pousse à la lutte des suprêmes témoignages

la terre qui se fond dans l'accueil de ses fruits

quand il se confie à ses yeux grands ouverts

toutes les mélodies se taisent dans l'anxiété des premiers pas

fusez salves orgues sifflez la tache répandue qu'annonce la grappe des souffles

et adhère stridente en communauté parfaite

par gradins de rire panique

au front éclairci au rajustement et à la course précipitée du destin de l'homme vers sa source et son fruit




Le final de ce texte qui passe de la prose aux accents des Psaumes, publié dans Grains et issues en 1935 (L'homme approximatif était paru en 1931). Disponible chez Garnier-Flammarion.

vendredi 19 février 2010

Adam Smith's Lost Legacy -- Gavin Kennedy


Le blog de Gavin Kennedy qui s'efforce de faire lire ce que Smith a écrit au lieu de répéter les lieux communs que des épigones apparemment analphabètes lui ont attribué ! Précieux.

Une fleur ? -- Po Kiu-Yi (772-846)


On dirait une fleur. Ce n'est pas une fleur.
On dirait une brume. Ce n'est pas une brume.
Cela vient à minuit.
Cela part au matin.

Cela vient comme un rêve de printemps
qui s'efface au réveil.
Cela vient comme un nuage du matin.

Vous ne trouverez cela
nulle part.


Traduit par Claude Roy dans son anthologie Le voleur de poèmes - Chine parue au Mercure de France en 1991 dont l'introduction constitue une merveilleuse visite commentée de ce gouffre qu'est la traduction.


Nécropolitique -- Achille Mbembe


Excellent article d'Achille Mbembe paru en 2006 dans Raisons politiques, n° 21, p. 29-60.

"Dans cet essai, j’ai avancé que les formes contemporaines de soumission de la vie au pouvoir de la mort (politique de la mort) reconfigurent profondément les relations entre résistance, sacrifice et terreur. J’ai tenté de démontrer que la notion de bio-pouvoir est insuffisante pour rendre compte des formes contemporaines de soumission de la vie au pouvoir de la mort. En outre, j’ai avancé les notions de politique de la mort et de pouvoir de la mort, pour rendre compte des divers moyens par lesquels, dans notre monde contemporain, les armes sont déployées dans le but d’une destruction maximum des personnes et de la création de mondes de mort, formes uniques et nouvelles d’existence sociale, dans lesquelles de nombreuses populations sont soumises à des conditions d’existence leur conférant le statut de morts-vivants. L’essai a également souligné quelques-unes des topographies refoulées de la cruauté (plantation et colonie en particulier) ; il a suggéré que le pouvoir de la mort brouille les frontières entre résistance et suicide, sacrifice et rédemption, martyr et liberté."

Article complet disponible en ligne.



D'Achille Mbembe, on peut lire aussi cet entretien à Mouvements de 2007, dont est extrait ce savoureux passage sur l'identité nationale française :


"Vous analysez cette question de la sexualité en vous référant également à la situation africaine anté-coloniale. Mais que pensez-vous de ce rapport entre sexualité, génitalité phallique et pouvoir dans les sociétés européennes contemporaines – je pense à la France par exemple ?

Vous le dites vous-mêmes, et je viens de faire allusion à nos démocraties. Lorsque, s’agissant de la France, Nicolas Sarkozy érige le devoir d’amour de la patrie en table de la loi (La France, vous l’aimez ou vous la quittez), que veut-il donc ? Cet amour – comment s’exprime-t-il sinon par une vérification et une démonstration des avoirs virils ? Récemment encore, l’ex-Premier ministre, M. Villepin, ne parlait-il pas de son pays comme d’une femme consumée par le besoin d’être enfourchée ? Pourquoi, suivant en cela M. Le Pen, le même Nicolas s’est-il efforcé d’exciter aussi brutalement cette zone érogène qu’est le racisme s’il n’était apeuré par le fantasme d’ablation ? La surenchère à propos de « La Marseillaise », de l’immigration et de l’identité nationale - quel souci prioritaire cache-t-elle sinon la hâte des politiciens à faire la preuve qu’ils « en ont » ?

Par ailleurs, n’est-il pas révélateur que Ségolène Royal ait passé le plus clair de sa campagne électorale, soit à tenter de « voler » un morceau de sa virilité à M. Sarkozy, soit à exploiter son statut de mère de famille prête à allaiter son nourrisson, la nation toute entière ? Ces pulsions sexuelles ont donc toujours été là. Et à présent que les femmes vont à la conquête du pouvoir d’État, il faudra de plus en plus compter sur ces fantasmes où se relient les seins purs de la Vierge lactante et le pénis « suçoteur ».

Puisque nous y sommes, pourquoi ne pas prendre le risque de la généralisation ? Je dirais qu’une grande partie de l’imaginaire culturel et de la culture politique de la France repose sur une configuration psychique originelle : le pouvoir de « consommation » des femmes et le fantasme des liquidités partagées. On le voit bien y compris au niveau des symboles de la nation. Dans la silhouette de Marianne, ce n’est pas seulement la beauté et la féminité qui sont données à admirer. C’est aussi la valeur phallique et narcissique du sein qui est littéralement exposée.

Voici, en effet, une culture qui, historiquement, a toujours attribué au « père » le statut de premier « planteur » (pouvoir d’engendrement et de fécondation). C’est également une culture qui a toujours été hantée par la figure du père incestueux habité par le désir de consommer sa pucelle ou son garçon, ou d’annexer ses filles à son propre corps, dans le but de s’en servir comme complément à la stature défaillante de l’homme, comme le montre bien l’épopée de Jeanne d’Arc.

Plus que toute autre démocratie moderne, la France a « stylisé » au plus haut point la référence phallique et l’investissement dans la féminité et la maternité, situant du même coup la jouissance sexuelle dans le sillage d’une politique séculière du ravissement. C’est la raison pour laquelle le politique en France a toujours été, quelque part, une manière de confrontation furtive avec, et d’adoration de ce qu’il nous faut appeler la statue."



C'est à Achille Mbembe qu'on devait aussi une des réponses les plus cinglantes au "discours de Dakar", réponse dont voici la conclusion :

"Depuis Fanon, nous savons que c’est tout le passé du monde que nous avons à reprendre ; que nous ne pouvons pas chanter le passé aux dépens de notre présent et de notre avenir ; que « l’âme nègre » est une invention de blanc ; que le nègre n’est pas, pas plus que le blanc ; et que nous sommes notre propre fondement.

Aujourd’hui, y compris parmi les Africains francophones dont la servilité à l’égard de la France est particulièrement accusée et qui sont séduits par les sirènes du nativisme et de la condition victimaire, beaucoup d’esprits savent pertinemment que le sort du continent, ou encore son avenir, ne dépend pas de la France. Après un demi-siècle de décolonisation formelle, les jeunes générations ont appris que de la France, tout comme des autres puissances mondiales, il ne faut pas attendre grand-chose. Les Africains se sauveront eux-mêmes ou ils périront.

Elles savent aussi que jugées à l’aune de l’émancipation africaine, certaines de ces puissances sont plus nuisibles que d’autres. Et que compte tenu de notre vulnérabilité passée et actuelle, le moins que nous puissions faire est de limiter ce pouvoir de nuisance. Une telle attitude n’a rien à voir avec la haine de qui que ce soit. Au contraire, elle est le préalable à une politique de l’égalité sans laquelle il ne saurait y avoir un monde commun.

Si donc la France veut jouer un rôle positif dans l’avènement de ce monde commun, il faut qu’elle renonce à ses préjugés. Il faut que ses nouvelles élites opèrent le difficile travail intellectuel sans lequel les proclamations politiciennes d’amitié n’auront aucun sens. On ne peut pas, comme à Dakar, parler à l’ami sans s’adresser à lui. Etre capable d’amitié, c’est, comme le soulignait Jacques Derrida, savoir honorer en son ami l’ennemi qu’il peut être.

Aujourd’hui, le prisme culturel et intellectuel à partir duquel les nouvelles élites dirigeantes françaises regardent l’Afrique, la jugent ou lui administrent des leçons n’est pas seulement obsolète. Il ne fait aucune place à des rapports d’amitié qui seraient un signe de liberté parce que coextensifs à des rapports de justice et de respect. Pour l’heure, et s’agissant de l’Afrique, il manque tout simplement à la France le crédit moral qui lui permettrait de parler avec certitude et autorité.

Voilà pourquoi le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar ne sera, ni écouté, encore moins pris au sérieux par ceux à qui il était supposé s’adresser."


Le fabuleux destin de la courbe de Phillips - Liêm Hoang-Ngoc


Histoire de compléter les paroles du post précédent, il faut mentionner, dans un style un tantinet plus orthodoxe, le petit livre de Liêm Hoang-Ngoc (sous-titré Les théories de l'inflation et du chômage après Keynes ; 2007 aux Presses universitaires du Septentrion) .







Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.

Avec un minimum de formalisme, le livre passe en revue la très horrifique histoire d'une innocente courbe empirique tentant de lier chômage et inflation, séduite et prostituée par des générations successives de théoriciens, passant de la position verticale (ah, le taux de chômage naturel ...) à l'horizontale (la courbe de Phillips trouvera-t-elle enfin le repos ?).

Les explications de Liêm Hoang-Ngoc sont suffisamment claires pour que le formalisme soit plus une gêne à la lecture qu'un garde-fou ; dommage que ces quelques équations n'aient pas été reléguées en annexe, cela aurait peut-être contribué à rassurer les lecteurs potentiels !

lundi 15 février 2010

Fear the boom and bust


Crash course in economy,
gangsta'stylee !

MC Keynes and Brother Friedrich in da house !


A voir,
ici ou .


Et on peut même lire les paroles pour réviser ses classiques :

We’ve been going back and forth for a century
[Keynes] I want to steer markets,
[Hayek] I want them set free
There’s a boom and bust cycle and good reason to fear it
[Hayek] Blame low interest rates.
[Keynes] No… it’s the animal spirits

[Keynes Sings:]

John Maynard Keynes, wrote the book on modern macro
The man you need when the economy’s off track, [whoa]
Depression, recession now your question’s in session
Have a seat and I’ll school you in one simple lesson

BOOM, 1929 the big crash
We didn’t bounce back—economy’s in the trash
Persistent unemployment, the result of sticky wages
Waiting for recovery? Seriously? That’s outrageous!

I had a real plan any fool can understand
The advice, real simple—boost aggregate demand!
C, I, G, all together gets to Y
Make sure the total’s growing, watch the economy fly

We’ve been going back and forth for a century
[Keynes] I want to steer markets,
[Hayek] I want them set free
There’s a boom and bust cycle and good reason to fear it
[Hayek] Blame low interest rates.
[Keynes] No… it’s the animal spirits

You see it’s all about spending, hear the register cha-ching
Circular flow, the dough is everything
So if that flow is getting low, doesn’t matter the reason
We need more government spending, now it’s stimulus season

So forget about saving, get it straight out of your head
Like I said, in the long run—we’re all dead
Savings is destruction, that’s the paradox of thrift
Don’t keep money in your pocket, or that growth will never lift…

because…

Business is driven by the animal spirits
The bull and the bear, and there’s reason to fear its
Effects on capital investment, income and growth
That’s why the state should fill the gap with stimulus both…

The monetary and the fiscal, they’re equally correct
Public works, digging ditches, war has the same effect
Even a broken window helps the glass man have some wealth
The multiplier driving higher the economy’s health

And if the Central Bank’s interest rate policy tanks
A liquidity trap, that new money’s stuck in the banks!
Deficits could be the cure, you been looking for
Let the spending soar, now that you know the score

My General Theory’s made quite an impression
[a revolution] I transformed the econ profession
You know me, modesty, still I’m taking a bow
Say it loud, say it proud, we’re all Keynesians now

We’ve been goin’ back n forth for a century
[Keynes] I want to steer markets,
[Hayek] I want them set free
There’s a boom and bust cycle and good reason to fear it
[Keynes] I made my case, Freddie H
Listen up , Can you hear it?

Hayek sings:

I’ll begin in broad strokes, just like my friend Keynes
His theory conceals the mechanics of change,
That simple equation, too much aggregation
Ignores human action and motivation

And yet it continues as a justification
For bailouts and payoffs by pols with machinations
You provide them with cover to sell us a free lunch
Then all that we’re left with is debt, and a bunch

If you’re living high on that cheap credit hog
Don’t look for cure from the hair of the dog
Real savings come first if you want to invest
The market coordinates time with interest

Your focus on spending is pushing on thread
In the long run, my friend, it’s your theory that’s dead
So sorry there, buddy, if that sounds like invective
Prepare to get schooled in my Austrian perspective

We’ve been going back and forth for a century
[Keynes] I want to steer markets,
[Hayek] I want them set free
There’s a boom and bust cycle and good reason to fear it
[Hayek] Blame low interest rates.
[Keynes] No… it’s the animal spirits

The place you should study isn’t the bust
It’s the boom that should make you feel leery, that’s the thrust
Of my theory, the capital structure is key.
Malinvestments wreck the economy

The boom gets started with an expansion of credit
The Fed sets rates low, are you starting to get it?
That new money is confused for real loanable funds
But it’s just inflation that’s driving the ones

Who invest in new projects like housing construction
The boom plants the seeds for its future destruction
The savings aren’t real, consumption’s up too
And the grasping for resources reveals there’s too few

So the boom turns to bust as the interest rates rise
With the costs of production, price signals were lies
The boom was a binge that’s a matter of fact
Now its devalued capital that makes up the slack.

Whether it’s the late twenties or two thousand and five
Booming bad investments, seems like they’d thrive
You must save to invest, don’t use the printing press
Or a bust will surely follow, an economy depressed

Your so-called “stimulus” will make things even worse
It’s just more of the same, more incentives perversed
And that credit crunch ain’t a liquidity trap
Just a broke banking system, I’m done, that’s a wrap.

We’ve been goin’ back n forth for a century
[Keynes] I want to steer markets,
[Hayek] I want them set free
There’s a boom and bust cycle and good reason to fear it
[Hayek] Blame low interest rates.
[Keynes] No it’s the animal spirits



Pour compléter les paroles par des développements plus classiques, voir les excellents compléments bibliographiques sur le même site et, aussi, Le fabuleux destin de la courbe de Phillips !

Lucioles - Lü Yuan (1922)


Le papillon de nuit meurt près de la bougie ;
La bougie, elle, meurt au cœur du vent.

Lueur verte
Lueur de brume et de froidure
Tu ne te laisses point enterrer par la nuit
Par la pluie
......je te dédie mon chant

Faire de soi-même un phare
Suivre de soi-même le chemin.



D'un Tang à un contemporain, toujours conduit par François Cheng.

Aube de printemps -- Meng Hao-jan (689-740)


Le sommeil printanier ignore l’aube,
On se réveille aux appels des oiseaux.
Nuit passée, bruissement de vent, de pluie;
Que de pétales, déjà, ont du tomber !

traduction de François Cheng in Entre source et Nuage - La poésie chinoise réinventée, Albin Michel 1990

mercredi 10 février 2010

Ce qui est, ici -- Jean Laude (1922-1984)





Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.

Ce qui est, ici est le premier poème du recueil La trame inhabitée de la lumière publié chez Corti en 1989.
Sur Jean Laude, africaniste et poète comme Michel Leiris, on peut lire cet article.



mardi 9 février 2010

Zapałka -- Marzena Broda


Poruszyła mrok,
Ale nie mógł mnie ogrzać
Jej wiotky płomyk

(23 XI 1998)

L'allumette

Elle ébranlait les ténèbres,
Mais ne pouvait me réchauffer
De sa frêle lueur


Marzena Broda, une des voix singulières jaillies de la génération "bruLion" (voir aussi ici) ; moins connue que Świetlicki ou Wróblewski ? Peut-être, à vrai dire, je ne sais pas. Ma préférée en tout cas !


"Jestem poetką i kontakt z literaturą, ze światem nawiązywałam poprzez poezję. Wychodzę do świata używając jej języka. Najpierw były to poetyckie przestrzenie autorów odmiennych od siebie, odległych również w czasie i w przestrzeni. Kochanowski, Mickiewicz, Rilke, Hölderlin, Yourcenar, Frost, Bishop, Brodski, Hopkins, Mandelsztam, Achmatowa i oczywiście Cwietajewa - oni ukształtowali mój literacki smak, moją estetykę."
(entretien dans Dziennik, 13/05/2005)

Beau panthéon ! Frost, bien sûr, et plus même que Tsvetaeva ... cette façon de fixer l'instant pour une éternité inquiète.


Son site (pour polonophones ... avertis ou non !).
(le premier lien en haut à droite donne accès son recueil "Prawo brzoskwinki do gromu" (2008).)

dimanche 7 février 2010

Quelques poèmes d'Hölderlin en traduction française


Des traductions parallèles de quelques poèmes d'Hôlderlin, c'est assez rare et c'est .

samedi 6 février 2010

"l'humanité universelle est visible sur les bords" -- Susan Buck-Morss, citée par Slavoj Žižek


Les deux premières parties du livre de Žižek sont moins linéaires que la dernière ; elles maintiennent pourtant leur trajectoire, passant sans trop de heurts d'une drôlatique herméneutique "Kung-Fu Pandienne" du berlusconisme à des pages comme celles ci-dessous où, au-delà des réserves de rigueur, Žižek, à la différence de l'immense majorité de la "gauche de la gauche", sait trouver les mots justes sur ce qui est au cœur de cet événement ; puis viennent ces quelques pages admirables sur Haïti :





Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.


Reposer la question dans le bon sens : non pas le prétentieux "Marx vu d'aujourd'hui ?" mais l'aride "Aujourd'hui vu de Marx" ; non pas le narcissique "Qu'est-ce que la France signifie pour Haïti ?" mais l'infiniment plus dérangeant "Qu'est-ce qu'Haïti signifie pour la France ?" ; si dérangeant que la question paraît à première vue grotesque, que la réponse bonasse "Ben ... rien." semble s'imposer. Sauf que ...

Sauf que ce discours universaliste d'autant plus radical qu'il s'exerce là où il ne risque pas d'être mis à l'épreuve n'est pas la spécificité d'une époque révolue. Sauf que cette façon d'ignorer "là-bas" (qui n'est pas forcément un lointain géographique) une (in)action foncièrement répressive en se réfugiant "ici" (qui est d'autant mieux marqué que le "là-bas" est plus proche, jusqu'à la définition physique du mur comme frontière) derrière les moulins à prières des "Lumières" est précisément ce qui fait notre actualité.

mardi 2 février 2010

Articulations -- Henri Michaux


Et go to go and go
Et garce !
Sarcospèle sur Saricot,
Bourbourane à talico,
On te bourdourra le bodogo,
Bodogi.
Croupe, croupe à la Chinon.
Et bourrecul à la misère

(in Mes propriétés)

Notes sur la mélodie des choses - Rainer Maria Rilke


Ne pas être de trop, est la condition première de l'épanouissement conscient et paisible.
(traduit par Bertrand Pautrat ; Alia ; 3€)




Pour ce qui est des justes récriminations contre mon usage immodéré de la photocopieuse, voir ici, merci.


Je m'aperçois que cet extrait final pourrait être mal compris sans la section XXXVI qui l'introduit :

Car c'est presque de l'importance d'une religion d'avoir compris ça : qu'une fois qu'on a découvert la mélodie de l'arrière-plan, on n'est plus indécis dans ses mots ni obscur dans ces décisions. C'est une certitude tranquille née de la simple conviction de faire partie d'une mélodie, donc de posséder de plein droit une place déterminée et d'avoir une tâche déterminée au sein d'une vaste œuvre où tous se valent, le plus infime autant que le plus grand. Ne pas être de trop, est la condition première de l'épanouissement conscient et paisible.


Final complexe de cet écrit de jeunesse (1898) qui part des primitifs italiens pour aboutir, en passant par le théâtre, à cette introduction d'un troisième terme dans le face-à-face de l'individu et de la communauté, cette mélodie des choses, à l'arrière-plan.
Troisième terme ambigu, à la fois séduisant, par l'appel à la sensibilité partagée, à l'écoute , à l'attention en commun comme ciment de la communauté, et inquiétant, par les accents d'harmonie pré-établie qui le traversent.


28/02/2010
Des discussions au sujet de ces dernières lignes auront amené quelques éclaircissements (pour moi, du moins, et si le mot n'est pas trop prétentieux) : Rilke donne deux exemples d' "arrière-plan" dans son texte ; un arrière-plan au théâtre, constitué des sons de la vie qui continue quand se déroule l'action et l'arrière-plan des tableaux primitifs italiens, arrière-plan dont on m'a rappelé opportunément qu'il est surtout composé de scènes de la vie quotidienne, de la vie des champs.
Bref, dans les deux cas, cet arrière-plan n'est pas celui d'une nature extérieure à l'homme ou lui pré-existant mais au contraire un produit de l'activité humaine. Ceci contribue à tempérer les accents d'harmonie pré-établie évoqués plus haut.


29/07/2019
A verser au dossier, cette remarque de Proust (glanée ici) : 

Car si on cherche ce qui fait la beauté absolue de certaines choses, des fables de La Fontaine, des comédies de Molière, on voit que ce n’est pas la profondeur, ou telle ou telle autre vertu qui semble éminente. Non, c’est une espèce de fondu, d’unité transparente où toutes les choses, perdant leur premier aspect de choses, sont venues se ranger les unes à côté des autres dans une espèce d’ordre, pénétrées de la même lumière, vues les unes dans les autres, sans un seul mot qui reste en dehors, qui soit resté réfractaire à cette assimilation. Je suppose que c’est cela qu’on appelle le Vernis des Maîtres (...).

(lettre à Anna de Noailles, Juin 1904, ici).