lundi 12 octobre 2009

Analogie incontrôlée autour la notion de "magma" chez Castoriadis


Dans "Fait et à faire" (Carrefours du labyrinthe 5, Points Seuil), Castoriadis écrit
:

"Tout cela montre aussi que, si le mode d'être de l'inconscient est celui d'un magma, magma ne signifie nullement, ni ici ni nulle part ailleurs, une "argile amorphe" -- tout au contraire même, puisqu'on peut en "extraire un nombre indéfini d'organisations ensidiques" -- et c'est à cela aussi que correspond la "plasticité pratiquement illimitée de la psyché". Le mode d'être du magma signifie simplement que l'objet considéré n'est ni réductible à ces organisations ensidiques ni épuisable par elles."

(pour la définition du néologisme "ensidique", raccourci de "ensembliste-identitaire", voir la notice Wikipedia sur Castoriadis)

En lisant cela, une image mentale (sans doute peu utile à ceux que les noms de Kolmogorov, Martin-Löf, Solomonoff, Ramsey ou Levin laissent froids ! Voir ici pour une visite technique) m'est venu immédiatement: le magma comme une sorte de prior universel à la Leonid Levin, ou comme une forme de l'aléatoire à la Martin-Löf, ce qui pour ce que j'en comprends du moins serait assez voisin.

Le prior universel à la Levin est une (semi-)distribution dont la propriété est de pouvoir "couvrir" toutes les autres (semi-)distributions (à un facteur multiplicatif près); en d'autres termes, quelque soit la distribution que l'on projette sur l'espace des possibilités, une fraction uniforme (sur l'espace, mais dépendant de cette distribution) de cette distribution sera recouverte par le prior universel. C'est évidemment hautement non trivial puisque les distributions doivent sommer à 1 sur l'espace des possibilités, donc ont un "pouvoir d'expression" limité sur l'ensemble de l'espace : en dépit de cette limitation, le prior universel réussit à être "absolument polymorphe" et à couvrir multiplicativement l'ensemble des distributions possibles. Il contient tout, du moins potentiellement, à des facteurs multiplicatifs près.


On trouve là le même genre de dispositif : quelque chose (magma, prior universel) qui recouvre l'ensemble des descriptions "ensidiques" possibles (organisations ensidiques, distributions calculables).

Et on retrouve de même, en assimilant l'ensidique aux distributions calculables et en se rappelant que le prior universel n'est pas, lui, calculable (il est "semi-calculable", approximable par une suite de distributions calculables à une précision arbitraire, certes, mais il est bien "ailleurs", à la clôture de la calculabilité) la différence de nature ("inépuisable", "irréductible") entre le magma et les organisations ensidiques.



Amusant, cela donnerait aussi des "régularités" que le monde nous offre selon Castoriadis (*
) une sorte d'interprétation du style "fragments of order" des théories à la Ramsey : un objet aléatoire contient forcément des fragments d'ordre, plus précisément il contient tous les fragments possibles et exactement dans les "bonnes" proportions, sinon, il se ferait prendre quelque part dans le test universel de Martin-Löf comme n'étant justement pas aléatoire ! Et comme il contient toutes les formes d'ordre possibles ("c'est là qu'est l'os" de cette définition "paraoxale", ou, disons, peu intuitive à première vue, de l'aléatoire (+)), il n'est réductible à aucune et épuisable par aucune.

(*) "(...) le monde effectif ne peut être effectivement organisé que s'il est organisable, et cela est un attribut du monde, non pas du sujet." "Le pour soi doit créer de l'ensidique -- et il y a de l'ensidique dans le monde. Le pour soi, par exemple, sépare et combine -- et il y a, dans le monde, du séparable et du combinable." (ibid)

(+) L'argument "avec les mains" est assez simple à saisir : imaginons une suite de 0 et de 1 ; imaginons encore que quelqu'un arrive, doté d'une bonne vue, et remarque "Tiens, bizarre, telle structure, disons 1xx1xx0000xx10 par exemple (où x peut prendre la valeur 0 ou 1) -- mais ce pourrait être quelque chose de bien plus complexe ! -- est absente de la suite". L'absence de cette structure pourrait être attibuée à un combinaison du hasard et de la finitude de notre suite mais, plus notre suite est longue, plus cette absence devient "suspecte" et, à la limite d'une suite infinie, cette absence est révélatrice d'une structure et notre suite ne peut pas être considérée comme "aléatoire". Ainsi, "être aléatoire", c'est bien exprimer l'ensemble des ordres possibles "dans les bonnes proportions" (hé oui, de la même façon que ne pas observer
1xx1xx0000xx10 est suspect, l'observer trop souvent l'est aussi !).



Quant à savoir si cette analogie va au-delà d'un simple mirage ...

Aucun commentaire: