lundi 31 août 2009

Ecologie et liberté -- André Gorz


Sept thèses en guise de conclusion

Les analyses partielles qui forment cet essai ont permis d’aboutir à quelques conclusions. Je vais essayer de les énoncer succinctement sous forme de thèses (...).

1. La crise actuelle du capitalisme a pour causes un surdéveloppement de capacités de production et la destructivité, génératrice de raretés insurmontables, des techniques employées. Cette crise ne peut être dépassée que par un mode de production nouveau qui, rompant avec la rationalité économique, se fonde sur le ménagement des ressources renouvelables, la consommation décroissante d’énergie et de matières.

2. Le dépassement de la rationalité économique et la décroissance des consommations matérielles peuvent être réalisés par hétérorégulation technofasciste, aussi bien que par l’autorégulation conviviale. Le technofascisme ne sera évité que par une expansion de la société civile qui, à son tour, suppose la mise en place de techniques et d’outils permettant une souveraineté croissante des communautés de base.

3. Le lien entre « plus » et « mieux » est rompu. « Mieux » peut être obtenu avec moins. On peut vivre mieux en travaillant et consommant moins, à condition de produire des choses plus durables qui n’engendrent ni nuisances ni raretés insurmontables dès lors tous y accèdent. Seul mérite d’être produit socialement ce qui reste bon pour chacun quand tous en jouissent – et inversement.

4. La pauvreté dans les pays riches a pour cause non pas l’insuffisance des productions mais la nature des biens produits, la manière de les produire et de les répartir. La pauvreté ne serra supprimée que si on cesse de produire socialement (*) des richesses rares, c’est-à-dire réservées et exclusives par essence. Seul mérite d’être produit socialement ce qui ne privilégie ni n’abaisse personne.

5. Le chômage dans les sociétés riches reflète la diminution du temps de travail socialement nécessaire. Il montre que tous pourraient travailler beaucoup moins à condition que tous travaillent. L’égale reconnaissance et rémunération sociale de tous les travaux socialement nécessaires est la condition à la fois de la suppression de la pauvreté et de la répartition du travail sur tous ceux qui y sont aptes.

6. Le travail social étant limité aux productions socialement nécessaires, la réduction du temps de travail pourra aller de pair avec l’expansion des activités autogérées et libres. En plus du nécessaire qui leur est assuré par la production sociale, les individus pourront créer durant leur temps libre, seuls ou collectivement, tout le superflu qui leur paraît désirable. La production d’une variété illimité de biens et services dans les ateliers et coopératives de voisinage assurera l’expansion de la sphère de la liberté et le dépérissement des rapports marchands ; l’expansion de la société civile et le dépérissement de l’État.

7. L’uniformité du modèle de consommation et de vie disparaîtra en même temps que les inégalités sociales. Les individus et les communautés se différencieront et diversifieront leurs styles de vie au-delà de ce qui est aujourd’hui imaginable. Leurs différences seront toutefois le résultat des emplois différents qu’ils feront de leur temps libre et non de l’inégalité des rémunérations sociales et des pouvoirs. Le déploiement des capacités autonomes durant le temps libre sera la seule source des différences et des richesses.


(*) Une production est dite sociale quand elle est assurée par des travailleurs salariés pour le compte d'une institution (entreprise ou administration). Le travail domestique n'est pas social, quoique salarié, ni les productions que des ouvriers pourraient réaliser pour leur propre compte sur les machines de "leur" atelier.

“Ecologie et liberté” (1979), repris dans "Ecologie et politique" (Points Seuil)




Les points 3 et 4 sont évidemment cruciaux; pour en déduire une règle de conduite et espérer sortir du piège actuel, il suffit d'en inverser la perspective, de retourner le "seul mérite d'être produit" en un "seul mérite d'être consommé" ...

Evidemment, ce n'est pas cette perspective de limitation "à jamais" de la consommation aux seuls biens méritant d'être socialement produits que défend Gorz, comme le montrent ses points 6 et 7 mais il faut reconnaître aujourd'hui que c'est la chatoyante diversité des marchandises qui masque mal l'uniformité des modes de consommation soumis au marché. Se déprendre du marché reste une priorité qui passe, ne serait-ce que pour commencer, par une remise en question de notre mode de consommation.

Chiche ?

Sur le même sujet, voir aussi Quelle démocratie ? de Cornélius Castoriadis.

A Maïakovski -- Marina Tsvetaeva


Plus haut que les croix, les cheminées,
Baptisé de fumée et de feu,
Archange poids lourd au pas pesant,
Salut dans les siècles, Vladimir !

Il est le cocher et le pur-sang,
Il est la lubie, il est le droit.
Il soupire et crache dans ses paumes:
"A nous deux, la gloire charretière !"

Chantre des miracles de trottoir,
Bonjour, orgueilleux salopard,
Qui préfère le poids du caillou
Aux séductions du diamant.

Bonjour, tonnerre de pavés !
Il baille, il te salue, et, voilà
Qu'il rame à nouveau du brancard, de
L'aile d'un archange-charretier.

(18 septembre 1921)
(Traduit par Elsa Triolet)


La fidélité de Tsvetaeva à Maïakovski ne se démentira jamais; refusant de cracher sur son cadavre, elle se brouillera avec les cercles de l'émigration blanche à l'occasion de la mort de Maïakovski.

Plus je lis Tsetaeva, moins je souscris à une image par trop "romantique", "évanescente" que certains, sans doute enfermés dans une lecture "à l'envers" de son œuvre, lecture qui partirait de son suicide, donnent d'elle.

Il est une lettre à Pasternak, une des dernières, je crois, qui lui permet d'opposer très crûment son attitude, le courage de s'engager passionnément autant, si ce n'est plus, dans sa vie (et partant dans celle des autres) que dans son oeuvre (*) à l'attitude de Pasternak ou Rilke, biaisant avec la vie pour édifier et protéger leur œuvre.
Le mot "biaiser" est de moi, sans doute trop fort pour Pasternak; Tsvetaeva tourne cela différemment, de façon positive, comme un droit du poète à tout négliger au profit exclusif de son œuvre mais je cite ici de mémoire et peut-être tout de travers; il vaudrait mieux retrouver cette lettre (retrouvée !).


De Tsvetaeva, voir aussi Les arbres.


(*)
quitte à sembler mélanger parfois les deux, voir à ce propos l'épisode Gontcharova; à ce propos , Marc Slonim, qui avait commandé à Tsvetaeva cette étude sur Natalia Gontcharova, remarquait: "Sans doute Gontcharova avait-elle très vite compris que Marina Ivanovna créait une légende sur les personnes avec lequelles elle cherchait à lier amitié; ce n'étaient pas elles qu'elle aimait mais la figure mythique créée par elle, de toutes pièces". De son côté, Tsvetaeva constatait amèrement: "A chacune sa vie, ses habitudes, je ne suis pas entrée assez profond, je ne suis pas devenue nécessaire. Ca s'est tout de suite refermé."

Nathalie Gontcharova, sa vie, son oeuvre
Marina Tsvetaeva
traduit et présenté par Véronique Lossky
clémence hiver éditeur



Georges Nivat

L'école d'impiété -- Aleksandar Tišma



Quatre nouvelles que Tišma présentait ainsi: "Pour moi, en tant qu'auteur, les nouvelles de L'école d'impiété sont importantes parce que je les ai imaginées toutes les quatre ensemble. Les nouvelles précédentes -- il y en a une dizaine -- me sont venues à la conscience une par une, comme un roman ou un poème. Tandis que j'ai aussitôt vu L'école d'impiété non comme une réunion de textes isolés, mais comme un tout. Je dis bien: j'ai vu, car ce recueil m'est apparu d'abord comme une projection plastique comportant quatre volumes, qu'il serait plus juste de décrire comme des galets: un ovale, un rond, un long et vertical et le dernier étendu horizontalement. Une fois les nouvelles écrites, j'ai constaté qu'elles étaient aussi diverses que leurs modèles plastiques, diverses par le contenu, par le rythme, par le procédé, comme si elles avaient été écrites par quatre mains différentes. Pourtant -- ou précisément pour cette raison -- je considère que c'est mon livre le plus complet, au sens où chaque vie, chaque destin, forme une entité. Aujourd'hui, non seulement "notre main gauche ignore ce que fait la droite", mais il semble que nous ignorions les mains dont nous disposons et ce qu'elles sont capables de faire, de construire comme de détruire. Ainsi quand nous considérons nos vies, chacun de nous ne voit peut-être que quelques galets inégaux et jetés dans le désordre."


A titre d'illustration de la puissance d'évocation de Tišma, les deux dernières pages de la troisième nouvelle, ce galet "long et vertical", la nuit d'insomnie que passe un père sachant sa famille sera anéantie au matin: "La pire des nuits".




(traduction Catherine de Leobardy)


Cela fait presque trente ans que j'ai lu ce livre, sorti en 1981; je ne l'avais pas relu depuis. C'était effectivement inutile; à la relecture, j'en connaissais encore chaque page.


Toujours disponible aux éditions L'Age d'Homme (apparemment dans une nouvelle traduction de Madeleine Stevanov).

L'acajou -- Boris Pilniak

Un pur chef d'œuvre ! Je reproduis ci-dessous l'introduction de Jacques Catteau qui permet de situer ce livre et Boris Pilniak dans ces années tourmentées ("entourbillonnées", pour parler comme Remizov) de la Russie soviétique.










Toujours disponible aux éditions L'Age d'Homme .

Voir aussi ici.

La bouche pleine de terre -- Branimir Šćepanović


Ce livre a une histoire éditoriale apparemment compliquée: publié d'abord à l'Age d'Homme en 1975 (traduction de Jean Descat) sous une superbe couverture (malheureusement, j'ai égaré cet exemplaire il y a bien longtemps), re-publié en collaboration avec les éditions de Fallois en 1988 et finalement réédité en 2008 au Serpent à Plumes-Editions du Rocher (5€ ...) !






Ci-dessous un extrait qui permet de juger de la construction parallèle du récit, en vue subjective du côté des poursuivants, en vision extérieure, "objective", à la troisième personne, pour le poursuivi :




Cette construction ne se contente pas de placer le lecteur dans la position des chasseurs (vue subjective de la poursuite, objectivation de la proie): à mesure que le récit avance, le discours à la troisième personne prend des dimensions presque prophétiques qui prépare la révélation finale aux chasseurs de leur propre vide:
"La nuit tombait déjà: tout le paysage, le monde entier disparaissait soudain dans les ténèbres, à l'exception de ce rocher isolé où, séparés par ce mystérieux homme nu qui souriait même dans la mort, nous nous enfoncions tous deux dans un silence de plus en plus douloureux."

Maîtrise parfaite de ce récit où le "il" change imperceptiblement de statut au cours de la poursuite, de l'extériorité toute "inférieure" de la proie à celle, infiniment inquiétante, de l'Ange.

Actuellement indisponible aux éditions L'Age d'Homme .

Tout près de l'oeil -- Marian Pankowski




Toujours disponible aux éditions L'Age d'Homme ... c'est bien tout ce qui me retient de mettre en ligne la photocopie de la dernière nouvelle !

samedi 29 août 2009

L'Âge d'Homme -- Vladimir Dimitrijević


L'Âge d'Homme ! Les éditions (basées à Lausanne) qui, dès les années 70, ont ouvert aux francophones des pans entiers de la littérature "slave".
Quel bilan, au-delà des polémiques au sujet de certaines orientations politiques pro-serbes et/ou certainement droitières de leur fondateur (encore que sur ces terrains, je n'ai pas de lumière particulière pour juger), publication inconditionnelle de toutes les oeuvres de Pierre Gripari, en particulier, qui m'a toujours paru gâcher son réel talent pour le seul plaisir d'affoler le bourgeois par ses "prises de position" politiques !

Oui, quel bilan ! Les classiques, d'abord: L'adieu à l'automne et L'inassouvissement de Witkiewicz (à l'époque, il me parut proprement incroyable que ces livres ne fussent pas déjà traduits tant ils s'imposent dans le paysage romanesque polonais, aux côtés de Ferdydurke ou des Boutiques de cannelle), La chronique de Travnik d'Ivo Andrić, Djann d'Andreï Platonov, L'acajou de Boris Pilniak, Petersbourg d'Andreï Biely ... Autant de livres et d'auteurs devenus enfin accessibles aux francophones pour composer leur paysage des "littératures de l'est". Et tant d'autres ...

Et puis, les contemporains: Les hauteurs béantes, bien sûr, l'ovni d'Alexandre Zinoviev (indispensable de relire aujourd'hui l'ensemble des sections Le manuscrit du Schizophrène), Vie et destin de Vassili Grossman, Tout près de l'oeil ou Rudolf de Marian Pankowski (chaudement recommandé aussi, Liberté basanée, Éditions Chambon/Le Rouergue, 64 pages, 5 €; né à Sanok ... comme Beksiński; toujours l'axe Kraków - Lwów ... Tomasz Stańko est né à Rzeszów, Bruno Schultz à Drohobycz à un gros jet de pierre de Lwów, Witkacy (né à Varsovie) a passé toute son enfance à Zakopane), A double-tranchant de Nikolaïev ...

Enfin, ces deux auteurs que ces éditions m'ont fait découvrir: Branimir Sćepanović, la révélation de
La bouche pleine de terre et Aleksandar Tišma, le choc de L'école d'impiété, avant L'usage de l'homme et Le kapo.

vendredi 28 août 2009

jeudi 27 août 2009

Crossroads -- David Blandy



Depuis The barefoot lone pligrim, David Blandy déploie un univers attachant où son amour pour la culture populaire, et tout particulièrement pour la musique soul, sert de fil conducteur.

Crossroads, son dernier travail, hommage à Robert Johnson, était au 176 Project Space à Londres cet été (fini depuis le 16 Août ...). Un travail qui dévoile une profondeur qu'on sentait déjà poindre derrière son clownesque personnage de White and Black Minstrel; l'acte de naissance du Minstrel en quelque sorte.




A voir, si l'occasion se présente, pour tous ceux à qui Is it because I'm black ? dit quelque chose !



Kazimierz Karabasz


Un autre maître polonais du documentaire, Kazimierz Karabasz

Muzykancy (1960)
Sous-titré en anglais !

Wędrówki po Warszawie: Z Powiśla (1958)
Non sous-titré; extrait d'un cycle consacré à la Varsovie des années 50; ici, le quartier de Powiśle, au bord de la Vistule (Wiśla).



Juste pour voir la différence entre un film documentaire et un film à usage strictement documentaire, quelques images de Varsovie 1956

Warszawa 1956 -- Jerzy Bossak et Jarosław Brzozowski

Commentaire envahissant en forme de pléonasme, musique sans âme, prise de son inexistante ... ne restent que des images de carte postale.

Documentaires polonais


Histoire de mettre un peu d'ordre:

Wędrówki po Warszawie: Z Powiśla -- Kazimierz Karabasz
Muzykanci -- Kazimierz Karabasz
Stolarz -- Wojciech Wiszniewski
89 mm od Europy -- Marcel Łoziński
Bęben Jurka Słomy -- Tomasz Laskowski

Stolarz -- Wojciech Wiszniewski


Encore un classique du
documentaire polonais, datant de 1976

Stolarz: première partie, seconde partie.

On peut trouver d'autres documentaires de Wojciech Wiszniewski sur You Tube.

Pas de sous-titres.

89 mm od Europy -- Marcel Łoziński


Puisque j'en étais à des films documentaires polonais, en voila un autre qui vaut le détour par un maître du genre, Marcel Łoziński:


89 mm od Europy: première partie, seconde partie (1993).


(Un peu) sous-titré en anglais.

Le changement d'essieu à la frontière biélorusse (Terespol -- Брест ou Brest): 89 mm d'écart ... d'où le titre, "A 89 mm de l'Europe".



Merveilleuse attention au son; la bande-son seule fait penser au travail classique de Yann Paranthoën, aux frères siamois que sont "Portrait d'Irène Zack" (portrait sonore de Yann Paranthoën ) et "Un portrait sans visage" (travail à partir des sons du précédent par Christian Zanési) que Futura 2007 avait eu la bonne idée de programmer ensemble.



Et à propos de trains, il y aurait un livre à écrire sur les aberrations auxquelles l'éclatement de l'URSS a donné lieu, pas tant dans la partie nord du réseau (à ceci près que c'est la Biélorussie qui sert, comme elle peut, de plaque tournante !) que dans la partie sud où les anciennes liaisons "intérieures" de l'Ukraine occidentale sont aujourd'hui coupées par les frontières de la Transdniestrie et de la Moldavie et n'ont guère été remplacées que par des camions et des cars !



mercredi 26 août 2009

Stanisław Dróżdż (1939-2009)


Zapominanie / Oubli


"Bad news travel fast" ... pas toujours; je n'apprends qu'aujourd'hui le décès de Stanisław Dróżdż.

On peut aussi voir d'autres exemples de son travail sur son site.


Było-Będzie / J'étais-Je serai


A propos de la poésie concrète.


BĘBEN JURKA SŁOMY --Tomasz Laskowski


Un beau documentaire sur un côté de la Pologne qu'on ne saisit peut-être pas bien ici; un témoignage sur le mouvement "hippy" (ce n'est certainement pas le mot juste; c'était pourtant un de ceux qui revenait le plus souvent) qui a couru au long des années 80, comparable seulement à ce qui s'est produit en Angleterre dans la mouvance CRASS. Une facette du "recours aux forêts".

Sur la bande son, Osjan, un groupe dont les racines s'enfoncent loin dans les scènes polonaises (un bassiste qui joua avec K. Komeda (qui composa la musique de plusieurs films de Polanski, celle de Rosemary's baby, en particulier), un membre de Voo-Voo, plus de trente ans de présence, même si ce fut parfois en pointillé...)

Ce n'est pas sous-titré, évidemment, mais, ici, est-ce seulement nécessaire ?

Bęben Jurka Słomy: première partie, seconde partie.

"Jutro tworze się dzisiaj" dit la chanson qui clôt le film: "Demain se crée aujourd'hui".



Une autre image de la Pologne que celle-là, qui fait le tour du web en ce moment et qui n'est malheureusement pas qu'une gaffe imbécile, comme me le faisait remarquer ironiquement un ami:
"Que veux-tu, il fallait bien qu'il y ait un personnage polono-compatible dans cette pub et ce ne pouvait être ni l'asiatique, ni le noir, ni la fille (sur l'image, il est clair qu'elle ne sert ni le thé ni le café). Ergo, il fallait en passer par photoshop; la fille, techniquement trop compliqué ! L'asiatique, il fait un excellent client potentiel ! Rien à faire, il fallait blanchir le noir."
Exact, une combinaison explosive de stéréotypes.


lundi 24 août 2009

Qu'est-ce que les Lumières ? -- Michel Foucault

Le texte français de cette conférence est ici.

Le texte de Kant (et celui de Moses Mendelssohn) est disponible pour trois fois rien (2,50€ !) aux éditions Mille et une nuits.


A joindre au dossier, ces présentations de Niklas Luhmann:

Philosophie de l’"Aufklärung" et tradition : une introduction à N.Luhman
Introduction à l'oeuvre de Niklas Luhman
L'apport épistémologique de la pensée de Nikla Luhmann: un crépuscule pour l'Aufkärung ?

et cette conférence de Frédéric Gros, l'éditeur (au sens anglais) de Foucault, sur l'oeuvre de Foucault des dernières années (à partir de 1980). Pour accéder aux fichiers audio, cliquer sur les minutages. Chez Chimères, cela va sans dire , mais cela va peut-être mieux en le rappelant !



Pourquoi Luhmann ? Parce qu'il me semble que c'est en comparant son approche à celle de Foucault qu'on mesure le plus simplement ce qui dédouane Foucault de la critique de l'aspect strictement descriptif et "décourageant" de son travail sur la société de contrôle.


Intéressant aussi de mettre en rapport les pages que Badiou consacre au courage dans De quoi Sarkozy est-il le nom ? (Lignes 2007) avec la position de Foucault; des positions partout infiniment éloignées (tant le rejet du transcendantal par Foucault l'éloigne "maximalement" de Badiou) et pourtant presque superposée sur ce sujet. A ceci près, bien sûr, et cela creuse un fossé infranchissable pour qui fait de l'identité de vue un préalable à la rencontre, que Badiou parle bien de tenir un point "qui propose la discipline d'une vérité" quand Foucault parle de franchir des frontières et de "relancer aussi loin et aussi largement que possible le travail indéfini de la liberté".

En l'occurence, en pratique, la distance me semble mince, surtout si je me réfère aux exemples de "points" que donne Badiou, qui me semblent précisément être des "points-frontières" de nos comportements.
Et si l'on veut bien considérer les systèmes philosophiques comme autant de "points de vue" sur le monde, comme autant d' "outils", chacun avec ses spécificités et, éventuellement, ses points aveugles, il est finalement encourageant de retrouver en concordance deux approches a priori aussi opposées.





















samedi 22 août 2009

La transition néo-libérale


Avant: l'image classique des trois rôles qui définissent le capitalisme, avec les entités que chaque rôle met sur le marché; je sais bien que le capitaliste est sensé apporter les capitaux mais, fondamentalement, il me semble que ce qu'il manipule, c'est le temps. La structure forte sous-jacente, c'est la structure spatiale: les flux monétaires se font d'autant plus faibles que la distance est grande; plus précisément, la structure sous-jacente est "spatiale", au sens de la politique de souveraineté des états-nations coloniaux, ce qui permet des flux importants vers et en provenance de leurs colonies, par exemple.





Pour suivre Karl Polanyi, la mise sur le marché de l'Homme (comme force de travail), de la Nature et du Temps (ici, Polanyi dirait la Monnaie) va engendrer des tensions insupportables dans les sociétés où se déploie ce marché qui permet de mettre dans la balance de l'optimisation des choses de natures différentes rapportées à leur seule valeur monétaire. Ceci pouvait d'une certaine façon être limité ou contraint dans le cadre spatial des états-nations.

Ce qui est nouveau vers la fin de XIXème, c'est la mise sur le marché du Temps (ou de la Monnaie), lui aussi rapporté à sa valeur monétaire (un taux d'intérêt). Au contraire des populations et des ressources naturelles, le temps échappe au contrôle des états-nations car il n'est pas spatialement ancré; plus encore, il est perçu de manière uniforme sur une grande partie de la planète (l'étalon-or n'est qu'une métaphore de cette uniformité; il n'est pas nécessaire en tant que tel et, d'ailleurs, rien n'a fondamentalement changé à sa disparition) .
A partir du moment où un marché du temps peut être établi, ce qui suppose de s'approcher autant que possible de l'instantanéité dans les échanges monétaires qui servent de support au processus d'optimisation, la structure spatiale qui sous-tendait jusqu'alors les marchés disparaît au profit d'une autre structure qui couple l'ensemble des individus en fonction de leur richesse et dont le fonctionnement étire à ce point la distribution des richesses que la hiérarchisation simple en trois "rôles" tenus par des populations relativement homogènes éclate pour faire jouer à tout individu les trois rôles à la fois en fonction de la position relative qu'il occupe dans l'ordre des richesse.

La transition néo-libérale, c'est ce changement complet de géométrie qui a lieu sous nos yeux depuis plus d'un siècle, avec un répit dans l'après-guerre, consécutif au rejet violent des conséquences de ce changement lors des années trente et quarante (interprétation par Polanyi de la montée des fascismes et du stalinisme), répit permis, il faut s'en souvenir, par la structure coloniale/impériale qui a pu déplacer momentanément les déchirements de l'adaptation au marché vers les pays colonisés.

C'est là que je ne peux plus suivre Polanyi: la "grande transformation" qu'il semble voir comme une aube nouvelle bridant à jamais le marché auto-régulateur dans un carcan en forme de contrat social, je la vois plutôt comme un feu de paille dont nous jouissons des dernières braises.





Après:



Evidemment, la sériation n'est pas totale; on devrait plutôt parler d'une multitude d'ordres partiels qui ne sont pas encore tous cohérents entre eux, une multitude de "fils" qui s'enchevêtrent mais dont le seul ordre sous-jacent reste celui de la richesse.

Ce qui assure la stabilité de ce système est aussi ce qui pourrait permettre de le remettre en cause; ce qui en assure la stabilité, c'est une forme de comportement mimétique qui dévie la rivalité: se comporter vis-à-vis de celui qui est placé en-dessous de nous comme se comporte vis-à-vis de nous celui qui est placé au-dessus de nous. Pour le dire trivialement, si celui qui est plus riche que moi peut avoir un yacht de 100m sans se soucier des conséquences que cela peut avoir sur les autres, pourquoi moi (si j'en ai les moyens) n'aurais-je pas un yacht de 10m etc.

Ce qui est particulier dans ce mécanisme, c'est que la violence mimétique est déviée: ce n'est pas le yacht de 100m du riche qui m'opprime que je veux, c'est faire usage vis-à-vis de ceux qui sont en-dessous de moi de la même violence pour avoir mon yacht de 10m. Le mimétisme dévie la violence "vers le bas" et, de ce fait (tous coupables, tous dans le même bateau, même s'il n'est pas bien joli), légitime l'exploitation venue du haut.

Redoutable auto-cohérence du système, si on veut bien ignorer les effets de bord, ceux qui n'ont plus personne en-dessous d'eux.

C'est aussi par là qu'on peut rechercher des voies pour sortir de ce système; le vieil adage tout simple "Ce que tu ne voudrais pas que l'on te fît, ne l'inflige pas à autrui." (enfin, tout simple ... c'est quand même ainsi que Rabbi Hillel résuma la Torah à un centurion qui souhaitait se convertir mais qui, prudent ?, demandait un résumé de la Loi qui n'excède pas la durée pendant laquelle il pourrait se tenir sur une seule jambe ! Rabbi Hillel ajouta d'ailleurs "C'est là toute la Torah. Le reste n'est que commentaire. Maintenant, va et étudie.") pourrait utilement reprendre du service car il est à la base de la volonté individuelle de déconnexion de cette chaîne. L'éthique de réciprocité (Rabbi Hillel est en bonne compagnie !) contre la satisfaction mauvaise de pouvoir, du moins, faire subir aux autres ce que l'on subit par ailleurs, compensation à l'impuissance et à la frustration ...

D'une certaine façon, nous nous approchons à nouveau d'une croisée des chemins entre des prises de conscience individuelles suffisamment nombreuses et massives pour stopper l'effet de connexion générale ou un retour à des mouvements de rejets violents à côté desquels ceux des années trente paraîtront bien anodins car cette violence sera exacerbée par l'évidence (nouvelle) de la finitude des ressources.
Rien de bien neuf, André Gorz écrivait déjà dans les années 70 que l'alternative entre techno-fascisme et liberté passerait par l'existence ou non d'une infinité de renoncements volontaires.


jeudi 20 août 2009

Néo-libéralisme et fin de la démocratie -- Wendy Brown

Article paru dans la revue Vacarmes en 2004, en complément à sa récente contribution à Démocratie dans quel état ? .

mercredi 19 août 2009

Le feulement des dunes


Symphony of the sands


(article de Keach Hagey and Bradley Hope)


On his travels through the Gobi Desert in the 13th century, Marco Polo encountered a curious sonic phenomenon in the dunes that he described as “the sounds of all kinds of musical instruments”, and also “of drums and the clash of arms”. A local legend had it that evil spirits were trying to disorient travellers and draw them deeper into peril.

Today, scientists understand that this spooky desert noise – a low, sustained groan that sounds like a cross between a low-flying aeroplane and a didgeridoo – is caused by the slippage of a certain kind of sand down the face of a certain type of dune. But they have only recently begun to comprehend just how these sand movements make the dunes sing. The science of singing sand is so new, in fact, that there is still controversy among physicists over which model most accurately describes the mechanism.

The earliest discussion of singing sand dates back to 880AD in the Ton-Fan region of China. A manuscript talks of a “Singing Mountain” where “the sound of stepping on the sand will reach some dozen miles or so”.

Over the centuries, the phenomenon drew poetic descriptions from travellers and writers such as Guy de Maupassant, who called it “the mysterious drum of the dunes”. But starting in the 19th century, it was scientists who were increasingly drawn to the sounds in search of an explanation.

One early scientific treatise said that singing sand was caused by “periodic oscillations of air pockets between the grains”. Another scientist said it was the product of “underground volcanoes”.

The current wave of research began in 2001, when Stephane Douady, a physics professor at the Ecole Normale Superieure in Paris, and Bruno Andreotti, his former PhD student, encountered a singing dune by accident while researching the shape and motion of sand dunes in the Western Sahara region of Morocco.

Prof Douady had read about the phenomenon before, but had expected the sound to be a squeaking of solid-against-solid, “like a door that’s not well oiled”. Instead, he was surprised to find the sand moved more like a liquid. Moreover, he thought that perhaps the loud and sonorous nature of the sound was created by the dune resonating like the body of a cello, but soon disproved this theory by finding that dunes of varying size produced the same note.

”We were very excited then, because it was clear that it had to be some sort of original way of producing sound,” he said.

The team dug deeper upon their return to Paris, coming up with the theory that the sound was caused by a synchronisation of grains that caused the surface of the falling sand to behave like the cone of a speaker. But Prof Douady and Dr Andreotti had different ideas about what caused the synchronisation.

Dr Andreotti, who co-authored the most recent scientific paper on the phenomenon in the January 2007 issue of Physical Review, argued that “the song of the dunes originates from a wave particle mode locking”. The sound “is mostly independent of the avalanche thickness and of the dune size but depends on the sand grain’s diameter”, Dr Andreotti said.

Meanwhile, Prof Douady visited dunes around the world and brought sand back to his laboratory to reproduce their songs. Now, he says: “We are making singing avalanches on a plate in the laboratory, so we are finding that the dune itself is not necessary.”

A third strain of research being conducted at the California Institute of Technology argues that, to the contrary, the song is in the resonance of the dune.

What is clear from empirical observation is that not just any dune sings. There are about 30 documented singing sand locations in the world, including the Southwestern United States, Chile, China, South Africa, North Africa and the Rub Al Khali, or Empty Quarter, shared by Saudi Arabia, Oman, Yemen and the UAE.

In Arabic, the sound is called za’eeq al raml, or “shouting sand”, a name that aptly describes the noise’s startling loudness. Volumes can reach up to 115 decibels and be heard up to 10km away. Their pitch can range from 65 to 100 Hz, depending on the size and quality of the grains. Steep dunes work best, as do dry ones, because “humidity acts like a glue that sticks the grains together”, Prof Douady said. As a result, the best songs are usually heard at high noon, and many dunes stop singing at sunset.

Grains that have travelled a long distance and are covered by a “varnish” also seem more likely to sing, Prof Douady said. Part of his research has suggested that salt acts as a catalyst for this varnish, so dunes near salt flats, like those in Morocco and Abu Dhabi’s southern Liwa region, are likely to sing well.

Although Prof Douady admits that there are few applications for his research beyond tourism, the mystery of the singing sands has provided rich fodder for artists. Birkbeck and Duffy, the Manchester-based art duo, recently mounted an installation at the Manchester Science Festival based on Andreotti’s audio and video recordings from Morocco.

“We were interested in it as a kind of sensory experience, the idea of this soundscape enveloping you,” said Joe Duffy, a film artist who worked with Eimer Birkbeck, a sound artist, on the project.

The viewers walking among the multiple speakers and screens were intrigued, he said, because they had never heard anything like it before. “I think the children were quite scared by the sounds,” he said.

“It’s a natural response. When you go back in history to earlier writings about singing sand, particularly in North Africa, the singing sands were described as djinn, or evil spirits. It was described like that because the sound was so loud and it surrounded people. It sounds like an aeroplane, and I guess if you were surrounded by that hundreds of years ago, before there were any aeroplanes, you would think it was more malevolent too.”




En plus de la théorie, Daoudy a eu la bonne idée de mettre en écoute certaines de ces dunes hurleuses, ici et .

Comme quoi, je n'avais peut-être pas rêvé, une nuit à Copiapo ...

Nothing / Armour -- René Halkett - David Jay




L'histoire de cet étonnant 45T (1980) réunissant le bassiste de feu Bauhaus David Jay et le peintre et poète René Halkett, né à Weimar Albrecht Georg Friedrich Freiherr von Fritsch, et mort citoyen britannique, est contée (entre autres souvenirs) ici.


Le texte des deux poèmes de René Halkett, le premier ayant de loin ma préférence (rien que les deux premiers vers ...):


Nothing

I know
As if I could remember it I know -
Nothing is left
Nothing exists
Not even past to be remembered.
If no one can remember no one can tell
If no one
Can remember -
No one
Can tell.
As if I could remember it
I'd tell -
There was that light.
That blinding light which turned all matter
to unseen light
Not darkness.
Darkness cannot exist where light can not
be known.
Nothing is left
No matter
And no more light
And no more dark
And nothing.
As if I could remember it I know
I have
A hand
Unseen in my weightless hand restlessly lies
on nothing
For it needs to write.
To write what matters when no matter
is left to write upon.
My hand now writes on nothing
It writes.
Know then that nothing lasts forever
And nothing will remain when I
have written.
These words on nothing will remain
For nothing lasts for ever.
It will remain
Remain
Remain
Waiting for new creation.




Armour

I am distressed
Cold
Cold.
How. Did the burning wood disintegrate?
at last?
I am undressed
Between the iron and my naked skin
Nothing is left
No more protection against my armour
I dare not move
Cold iron cuts
My naked flesh
Cold pain. Sharp pain
Disarming pain
Armour protects
But now my arm
Can not wiled arms
Frozen, in pain.
Slowly, in hope or fear, my arm
Spreads out the gaudy surcoat -
challenge or disguise
The tatters fly away
My armour is undressed
Steal, beg or borrow other guise, and play!
Play.
Play the fool, the hero.
Play the lover, the monk, the peasant.
Play one an all!
Play them
And let them play
Let Hero play the Fool
And Fool the Hero
Let Peasant play the Monk
And Monk the Peasant
All play the Lover
Lover play them all.
Play, guiser, endless permutations
of disguise
Armour protects you still
And while play in pain
Protecting iron
Will scrape away your skin,
Your naked flesh
And in the end
will leave your bones undressed
Your secret core disclosed
And rest you truly, gentlemen.



Pas grand chose d'équivalent depuis, à l'exception notable du (malheureusement très confidentiel) 45T de Willem de Ridder avec Crawl Unit.
Si seulement (Super)Stropharia se prenait un peu plus au sérieux dans ses expériences avec Aleksey Rafiev ou Aleksander Lugin ...

mardi 18 août 2009

Too high to die -- Meat Puppets

Pour K.T. (la basse du premier Million Bulgarów), à qui je dois plus que je ne pourrai jamais l'admettre, deux titres de Too high to die, Meat Puppets 1994




Backwater

And when I wake up in the morning
To feel the daybreak on my face
There's a blood that's flowin' through the feeling
With a knife
to open up the sky's veins

Some things will never change
They stand there looking backwards
Half unconscious from the pain
They may seem rearranged
In the backwater swirling
There is
something that will never change

And when I shoulda been gone a long time
Laughs and says, I find ways
Just when we're sheltered under paper
The rockets come at us sideways

Some things will never change
They stand there looking backwards
Half unconscious from the pain
They may seem rearranged
In the backwater swirling
There is
something that will never change

Hey, I'm blind
Good, fine
Roll the time
On whose dime

And when I wake up in the morning
To feel the daybreak on my face
There's a blood that's flowin' through the feeling
With a knife
to open up the sky's veins




Roof with a hole in it

The colors are flowing from the wall to the floor
And only an outline still remains
Cause the roof's got a hole in it
And everything's been ruined by the rain

There may be diamonds in that dream on the hill
But the people who live there still complain
Cause the roof's got a hole in it
And everything is soaking in the rain

No one can practice the common sense that they see
Through the nickle and diming I'll explain
When the roof's got a hole in it
Everything gets ruined by the rain

My head's got a hole in it
And everything's been ruined by the rain



(textes de Curt Kirkwood)

mardi 11 août 2009

Timour Kibirov


Histoire de préciser l'allusion !


Poète-lauréat 2008 ... oups, pardon, lauréat du prix "Poète" 2008 ! Cela change tout.

Revendique urbi et orbi le droit à "faire l'andouille"; en toile de fond de ses pitreries, une réelle humanité et une solide connaissance de la poésie russe qui lui permet ce genre de marqueterie de styles et de citations:



Tu as lu la Pravda-vérité ?
Fi donc, Liova ! eh bien lis !
Ah quelle vérité y coule à flot !
Quel trop-plein de glasnost !

Oh là ! le baquet à merde est plein !
On n'en bouffera jamais la fin !
Cette coupe ne passera pas,
Maman Patrie on ne te sauvera pas !

Entropie, accélération,
Désintégration de tout,
Pourriture sur pied,
Os mis à nu !

Pouvoir soviétique, mon chéri
Attends, subis encore un peu !
À quoi bon te tracasser
À quoi bon te lacérer ?

Les libelles des ennemis
Voient tomber leur fard vétuste.
Toi tu passes comme poudre
Blanche tombant du pommier en fleur !

Souriant idiot, hémiplégique
Tu gis sans uniforme, vraie putain !
Fallait pas les relâcher,
En blouses blanches, les assassins !

Te v'la figée dans l'Mausolée,
Ni vive ni morte,
T'as failli recevoir dans la tronche
L'U-2 d'la Bundeswehr !


Tout passe, tout est fini !
Fumée mauvaise, fossé aux loups.
C'est fugace comme Tchernenko,
C'est stupide comme le Khroucht,


C'est stérile comme Ilitch,
Ca fout la trouille comme Kroupskaïa,
Y'a plus de bases qui tiennent
La merde fout le camp, Liova


Timour Kibirov (traduit par Georges Nivat; cité dans l'introduction de son (magistral) "Russie - Europe La fin du schisme" datant, déjà, de 1993)



Aussi, un court entretien avec Kibirov (Courrier de Russie ... hum ... d'accord ... mais Medvedev ne peut pas y écrire tous les articles !).



Et, en passant, encore un exemple d'excellente traduction de Nivat qui sait combien il est important de rendre le mouvement de la langue, quitte à sacrifier çà et là quelques articles, ces raides poteaux indicateurs qui vont si mal aux langues slaves !

Les deux dernières strophes m'amusent particulièrement; "C'est fugace comme Tchernenko" mériterait de devenir proverbial.



Les arbres -- Marina Tsvetaeva

dimanche 9 août 2009

Soviet underground

Une bonne série de trois articles sur la génération des "bardes" par Alex Malina (en anglais) : Okudzhava, Gorodnitsky, Vysotsky, entre autres, puis Dolsky, Baschlachev ...

Dommage que la conclusion ignore apparemment tout de la Russie post soviétique. A sa liste, Malina pouvait ajouter Yegor Letov et Grazhdanskaya Oborona, Yanka, et puis quelques autres encore qui ont eux-aussi répondu à leur façon à la question de Vysotsky. Peut-être ces réponses ne lui conviennent-elle pas ?


(...) I think that the movement came out of the repression of the Soviet regime, such songs and poems and ideology can only be born out a state of fear, and a need for freedom. The poetry and song of the bards is still widely sung, is played on the radio every day, in theaters, in films, and all over the world. The style and genre is fading into a much larger form of society -- it has ceased to be underground and exclusive, it has entered the mainstream and lost its individuality, its personality of rebellion. The bards rose out of repression, loss, humiliation, stagnation, and stood for only one cause: freedom. As Vysotsky said, "Yesterday they gave me freedom, what am I going to do with it now?"

Give some meat to the dogs
Maybe they'll fight.
Give the drunks some kvass
Perhaps they'll fight each other.
So that the crows don't get fatter
Place a much larger scarecrow.
But so that the lovers love each other
Give them seclusion.
Throw seeds in the earth
Maybe you'll see some growth.
Fine! I'll be obedient
But then give me freedom!
They gave pieces of meat to the dogs
But the dogs didn't fight!
They gave kvass to the drunks
But they refused it.
People scare the crows
But the crows aren't scared.
People try to unite pairs,
But they would rather be single.
They poured water onto the ground,
But there was no growth -- amazing!
Yesterday they gave me freedom
What I am I going to do with it now?




Pourtant, Malina a écrit quelques textes plus sensibles que cette conclusion qui semble donner pour acquise l'accession de la Russie au paradis des libertés:

A Man Alone

There is a precious beauty to the silence of
a man alone
.........the beard grows
.............time frowns
.........a crow nests near the window
.....and one becomes a lovely prisoner
.....of inner loves of what was once.

I have become the silence
of a man alone
............bearded
................shoulders hunched like a raven,
................imprisoned by unrestrained youth.



Un autre article de Vladimir Novikov, plus "académique", sur le même sujet, intéressant en particulier par l'opposition bienvenue qu'il construit entre cette chanson de résistance ("magnetizdat") et la poésie de Yevtouchenko, caracolant après la bataille.
Et pourtant, là aussi, la même méconnaissance, le même mépris pour la génération des années 80-90 (pour ne rien dire de la génération actuelle):



Ha ! Le "Musée gouvernemental Vladimir Vysotski" ... Devant cette minable extase de rat de bibliothèque, comment ne pas penser encore à la plainte prophétique de Roman Jakobson dans La génération qui a gaspillé ses poètes ?
C'est peut-être là qu'il faudrait mesurer un écart, entre Novikov et Jakobson ! Mais ce serait simplement injuste. Il y a pourtant plus qu'une question de "niveau" qui est en jeu ici; même des gens aussi clairvoyants que Georges Nivat sont aveugles et sourds à ces générations. Comme coincés devant une forme qui s'apparente pour eux à la pure sauvagerie ... plutôt le tintamarre un peu cliquant mais toujours savant du post-modernisme (finalement, c'est rassurant, les références ... un peu comme les panneaux indicateurs, cela redonne confiance à chaque fois, même s'ils indiquent invariablement la mauvaise direction), Timour Kibirov en tête (qui n'est pas négligeable, au demeurant), que le fracas littéralement (littérairement ?) "insituable" de Grazhdanskaya Oborona !


Bah, il en est de Bashlachev ou Vysotski comme de Maïakovski. On n'épingle pas la foudre sur le coussin des musées (fussent-ils gouvernementaux) !


Et sur Baschlachev, à peu près tout (tout, c'est-à-dire beaucoup, mais en russe seulement).
Et tant pis si Vladimir Novikov n'y fait pas de découverte lyrique "ahurissante". S'il ne s'agissait que de cela, Yevtouchenko pourrait amplement faire l'affaire ! Un musée gouvernemental aussi ...

vendredi 7 août 2009

Million Bulgarów

Bien vivant Jacek Lang, leader de Million Bulgarów (aka One Million Bulgarians, aka OMB), une légende du punk-rock-etc polonais, en provenance de Rzeszów; "Czerwone Krzaki", de 87 à nos jours !


Czerwone krzaki daję kobiecie
I znowu jestem na drzewie.
Czerwone krzaki daję kobiecie
I znowu jestem na drzewie.

Czerwone krzaki mogę wam sprzedać
I tak nie pójdę do nieba
Czerwone krzaki mogę wam sprzedać
I tak ja nie pójdę do nieba

Maj - to wtedy kwitną kwiaty
Pachnie gaj
To wtedy czarne diabły zjedzą was
To wtedy runie w dół fala i jazz
To wtedy pękną kwiaty, spłynie krew...

Wyrwane z ziemi do samych korzeni
Czerwone krzaki spływają w dół
Wyrwane z ziemi do samych korzeni
Czerwone krzaki spływają w dół

Wy też dacie krzaki, będziecie na drzewie
Lecz dzisiaj nikt o tym nie wie
Wy też dacie krzaki, będziecie na drzewie
Lecz dzisiaj nikt o tym nie wie

Nie wie

Maj - to wtedy kwitną kwiaty
Pachnie gaj
To wtedy czarne diabły zjedzą was
To wtedy runie w dół fala i jazz
To wtedy pękną kwiaty, spłynie krew...

Maj - to wtedy kwitną kwiaty
Pachnie gaj
To wtedy czarne diabły zjedzą was
To wtedy runie w dół fala i jazz
To wtedy pękną kwiaty, spłynie krew...

Spłynie krew...
Spłynie krew...
Spłynie krew...
Czarne diabły
Zjedzą was
Czarne diabły
Zjedzą was

Zjedzą was

Maj - to wtedy kwitną kwiaty
Pachnie gaj
To wtedy czarne diabły zjedzą was
To wtedy runie w dół fala i jazz
To wtedy pękną kwiaty, spłynie krew...
To wtedy pękną kwiaty, spłynie krew...
To wtedy pękną kwiaty, spłynie krew...
To wtedy pękną kwiaty, spłynie krew...
To wtedy pękną kwiaty, spłynie krew...

To wtedy pękną kwiaty, spłynie krew...